2• L'histoire de ma vie

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Quand vous avez une obsession, vous avez tendance à perdre toute rationnalité. C'est ce qui se passe avec le sexe. Je ne cesse de me sentir différente, en dehors de la norme car j'entends constamment les filles de première en parler avec facilité. Elles découvrent leur corps et leur sexualité à deux tandis que je peine à obtenir un simple baiser de la part d'un garçon.

Et un jour, la fameuse question m'a été posée. Morte de honte, j'ai préféré esquiver en affirmant ne pas vouloir en parler.
Alors que je m'attendais à un déchaînement de moqueries, cela a été pris pour de la pudeur envers les cochonneries que j'aurais pu faire. Sans que je ne comprenne la logique de ces filles, j'ai été intégrée au clan des populaires, moi la jeune vierge cachée.

Plus je passe du temps avec ces filles, et plus je réalise qu'il faut que je garde cela secret car elles ne font aucun cadeau à la médiocrité comme elles aiment tant le dire.
Comme si je n'avais pas déjà la pression sociale, je peux maintenant rajouter les trois tyrans au décolleté plongeant. Je me vois comme l'agneau invitée dans la tanière des louves. Il va falloir que je sorte mon plus beau grognement.

Parfois, j'en viens à me demander si elles n'exigent pas ma présence pour une toute autre raison. Face à leur prestance, j'ai l'impression d'être la copine moche qui les met en valeur.
Elles sont ce que les garçons désirent. Moi, je n'ai jamais attiré le regard. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé.

J'ai en tête cinq souvenirs marquants en matière de râteau. Je pense même qu'on pourrait créer des awards vu l'inspiration qu'est ma vie.

Qu'est ce qui fait que moi, Yeri, je suis poisseuse en amour? Je commencerai par évoquer mon surnom. Certaines filles ont horreur d'être appelées "bébé, mon coeur ou ma puce". Si elles savaient qu'elles jouent dans la petite cour car j'ai été gâtée.
Un soir, tandis que je voulais m'incruster à l'une des soirées film d'horreur de mon frère, j'ai ouvert la porte avec l'espoir de me poser tout naturellement entre eux:

— Ah! Parfait! S'est écrié Felix. Puisque t'es là, p'tit monstre, tu peux nous apporter le soju que j'ai mis au frais ?
— Puis pose-le par terre et va jouer avec tes Barbies, a renchérit mon frère.

P'tit monstre...
Je ne réagis même plus à l'écoute de ce surnom, acceptant même qu'il devienne mon nouveau prénom.
Cela a commencé lors de mon entrée en 6ème. J'avais préparé une si belle tenue et m'étais faite une jolie coiffure pour vivre une si belle aventure dans cet univers stressant. Je pourrais dire que j'y ai cru puisque tout le monde m'a regardée avancer jusqu'au centre de la cour. Je jure même avoir déclenché des murmures mais tout s'est arrêté subitement. Mon frère s'est mis à hurler en ma direction:

— Hey! P'tit monstre. Arrête de faire peur à tout le monde et va te cacher dans un bâtiment.

Aussitôt, les rires ont suivi. J'ai à peine osé lever les yeux sur ses amis qui se tordaient de douleurs devant mon visage déconfit. La peine en a été si forte que je faisais tout par la suite pour ne pas attirer l'attention. Il a été très difficile de faire oublier cette humiliation publique.

Après le surnom, je dirais que ce qui a marqué mon existence de poisseuse est mon attrait pour la nourriture.
Je n'ai jamais été dérangée par mes formes. Je dirais plutôt que ce sont les autres qui ont créé et implantés des doutes dans ma tête. Je n'ai pas la silhouette filiforme qui est préconisée dans tous les magazines, faute à mes petits péchés mignons. Mais je pense ne m'en sortir pas trop mal avec une répartition à mon avantage.
En tout cas, j'ai bien compris que cela n'était pas du goût des garçons puisqu'à partir du moment où j'ai commencé à prendre des seins et à mettre des soutien-gorge, les regards me fuyaient au collège. Et mon frère se chargeaient bien de me le souligner.

— T'as oublié ton soutif rembourré dans le couloir, me dit-il en balançant le vêtement à mes pieds.
— Elle fait du combien maintenant notre Yeri? 10A? S'amuse Hyunjin.
— Il faut bien commencer quelque part, je lui réponds vexée au plus haut point. Et toi, tu n'as toujours pas de poils sur la bite? T'inquiète, un jour ça viendra.

Hyunjin fait partie de ces êtres vivants que je rêve d'étouffer avec mon frère. Tous deux se sont bien trouvés et me font payer leur présence chaque jour.
Voilà pourquoi je préfère trouver un refuge apaisant avec la nourriture.
Une femme a dit un jour dans un télé-film que l'on garde un homme avec son ventre et sa bite. Si pour l'instant, l'organe génital de ces messieurs m'est encore inconnu, rien ne m'empêche de me perfectionner dans les bons petits plats.

Et je crois que la bonne odeur a attiré ce jour-là ma première proie. Bang Christopher. Quelle perfection...
J'ai secoué innocemment la fumée qui s'en dégageait afin qu'il décide de me faire la conversation dans l'espoir d'y goûter.

— Ça sent super bon, salive Chris. T'es vraiment douée en cuisine. Régale-toi bien, t'as raison. Les kilos, on s'en fiche.

Après avoir tapoté mon bidon et s'en être allé avec son BoysBand, je me suis affalée en larmes la spatule à la main. Les garçons coréens ne vivent que pour les filles qui s'envolent au moindre coup de vent. Moi, je suis un poteau solide. Je l'ai bien compris.

En y repensant, je ne regrette pas avoir tout de même dévoré mon plat pour ne rien gâcher.
On peut reconnaître que malgré mes déboires, je n'ai jamais abandonné, même quand je n'avais aucun talent dans le domaine.

Le maquillage a été l'un des plus grands moments de désespoir dans ma vie. Si certaines font des miracles avec un crayon noir, je peux en faire un camouflage militaire du tonnerre.
Les filles deviennent girly avec du rouge à lèvres, mais quand c'est à mon tour de l'apposer, je postule dans des films d'horreur. C'est comme cela, il y a des domaines qui ne veulent pas de vous.

Et je l'ai compris le jour où Minho a hurlé au croisement dans le couloir alors que je sortais de la salle de bain et de deux heures de tutoriel sur Youtube pour un oeil de biche.

— Merde... Tu t'es pris un poing? S'inquiète Minho.
— Euh non.
— Tu devrais t'inquiéter. Ton oeil est hideux. Attends, regarde, il est tout rouge dans le coin. T'as dû choper une bactérie. Va voir le médecin. Ne traine pas. Beurk. Ça me fout les frissons.

Sa réaction a été si sincère que j'ai inventé une conjonctivite très rare venant d'Amazonie. Je suis ainsi restée enfermée une semaine dans ma chambre pour digérer l'humiliation, sous la complicité de ma mère.

Une chose est sûre. Il y a des fois où j'aimerais être invisible aux yeux des amis de mon frère. Leur sincérité joue un rôle prépondérant dans mon mal-être.
Ces types n'ont pas de filtre et me disent les quatre vérités que je n'ai jamais demandé à entendre.
Oui, j'ai des formes. A quoi cela sert-il de me le rappeler sans cesse? Cela va-t-il changer leur existence ? Non, je ne crois pas. Pourtant, ils s'amusent à me rappeler que je ne fais pas partie de la norme. 

— Hey! P'tit monstre, fanfaronne Hyunjin. Même si ton cerveau te dit que tu fais du S, fais confiance à tes yeux et offre lui du M. T'es toute saucissonnée.
— Mais un bon gros M, rajoute Felix en mimant ma poitrine.

Je me souviens avoir éclater en sanglots dans ma chambre, griffant ma peau pour le trop plein dont la nature m'avait dotée.
Pourtant, j'aime mon corps mais il est des jours où il est plus difficile d'être courageuse que d'autres.
Le physique est la cible idéale pour briser quelqu'un. C'est facile, gratuit et ça marche à tous les coups.

Je dirais que la raison ultime de la nullité de mon existence se résume en mon frère. S'il n'avait pas été l'instigateur de tout ce harcèlement, peut-être aurais-je pu voir les choses différemment.

— En tout cas, si on doit crever la dalle, on a de la réserve avec les cuisses de Yeri... Lâche Changbin alors que nous sommes tous devant un épisode de The Walking Dead.

Je suis quelqu'un de forte mais à un moment, le vase arrive à saturation.
Ce jour-là, je n'ai même pas réagi. J'ai encaissé silencieusement.
Après un fou rire général, tous se sont tus un à un. J'ai compris qu'ils me fixaient et réalisaient la peine que je gardais au fond de moi. Mais ce n'était pas les mots qui me brisaient mais celui qui les avaient prononcés.

Je pense finir seule mes jours.
Je ne trouverai jamais ma moitié. Mon prince charmant est soit déjà mort dans un fossé, soit partie avec la princesse du royaume voisin. L'histoire de ma vie n'a pas de happy end. Mais tant pis, on est mieux seule que mal accompagné.

My First Time [ Tome 1 ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant