— John !
Un homme en blouse blanche ouvre les bras pour accueillir M. Owlier d'un air jovial.
— Ethan, répond solennellement Owlier, visiblement contrarié.
John Owlier déteste que ses employés l'appellent par son prénom. Surtout son bras droit, Ethan. Ce dernier, bourru et décontracté, est tout le contraire de son patron, plus rigide et sportif. Malgré cette différence, les deux hommes se connaissent depuis des années. Ils ont fait leurs études ensemble et ont découvert bien des secrets de cette nouvelle ère. Sentant le regard assassin de son patron, Ethan se racle la gorge, adoptant un ton plus sérieux.
— Tu m'as appelé pour un dossier, c'est ça ? demande Ethan.
John sort le dossier de mademoiselle Dogger de sa sacoche et le tend à son associé. Le nom de la jeune femme est volontairement surligné en noir sur la pochette.
— Je veux ton avis.
Ethan attrape le dossier et commence à le feuilleter, tandis que les deux hommes marchent dans les couloirs du laboratoire du pont Est. Ethan a fait le déplacement pendant la nuit pour observer un phénomène rapporté la veille. John, lui, a travaillé jusqu'au petit matin, absorbé par les recherches d'Anna Dogger. La réponse d'Arcane, son hibou, n'a fait qu'alimenter son inquiétude.
— Je comprends mieux ton état, grogne Ethan en parcourant les notes.
— Alors ? Qu'en penses-tu ?
— C'est du génie... mais il manque des formules, des détails, des conclusions. Bref, soit on l'a, soit on vole ses recherches, dit Ethan avec un sourire machiavélique.
John y a déjà pensé. Débarquer chez Anna, mettre son appartement à sac et s'emparer de ses travaux. Mais en creusant plus profondément, il a découvert qu'Anna est la fille de Stéphan Dogger, son ingénieur en chef chargé des travaux des monorails. Perdre un tel atout serait un désastre. Il doit donc agir autrement.
— Je vais plutôt lui proposer un autre entretien, déclare John calmement.
— Si tu crois que ça suffira, répond Ethan en haussant les épaules.
Ils arrivent devant une porte au fond du couloir. Ethan appuie sur un bouton, et un sas s'ouvre, révélant la rame d'un tram monorail. Ils montent à bord, le seul moyen de rejoindre les laboratoires situés aux extrémités des ponts.
Pendant le trajet, Ethan sort deux combinaisons hermétiques et en tend une à John.
— Alors, elle t'a tapé dans l'œil ? plaisante Ethan, un sourire moqueur aux lèvres.
John, surpris, arrête sa fermeture éclair à mi-chemin et fixe son bras droit, interloqué. Le rire d'Ethan résonne dans la cabine. Il a visé juste, mais John refuse de se l'avouer. Il ne peut nier que le comportement d'Anna l'a intrigué. Peut-être même plus qu'il ne l'aurait imaginé. Elle est intelligente, et il doit bien admettre qu'elle est jolie. Mais leurs mondes sont totalement différents. Lui, il vient d'une lignée privilégiée, descendant directement des rescapés de la refonte de la Terre. Posséder un hibou est un privilège réservé à une élite. Perdre son animal, c'est être déchu de la société.
Ignorant la plaisanterie, John termine de fermer sa combinaison. Le monorail s'arrête dans un silence pesant. En sortant, John jette un regard par-dessus les eaux qui défilent sous ses pieds, tandis qu'Ethan continue de feuilleter le dossier. Ils traversent un long dédale de couloirs avant d'entrer dans le laboratoire principal.
Le scientifique qui les a appelés la veille est penché sur un microscope, scrutant un échantillon de cristal.
— Du nouveau ? demande Ethan, redevenu sérieux.
— Pas vraiment, répond le scientifique en se redressant. Quoique...
Il roule sa chaise jusqu'à une armoire imposante, actionne un levier, et l'armoire glisse lentement sur le côté, révélant une pièce cachée. À l'intérieur, des centaines de cylindres de verre contenant le liquide rose bonbon sont exposés, tous cristallisés.
— Cette nuit, nous avons observé une réaction en chaîne avec tous nos échantillons. C'est comme si quelque chose ou quelqu'un voulait empêcher qu'on en découvre plus sur cette matière.
John s'avance, l'air sombre. Ce phénomène n'avait jamais eu lieu auparavant.
— Avez-vous essayé de la faire fondre ? demande-t-il en fixant les cylindres.
— Nous avons tout essayé. La fondre, la casser, la percer... Rien à faire, cette substance est indestructible. Elle ne se laisse pas faire.
John fronce les sourcils. Il y a quelque chose de profondément inquiétant dans ce que le scientifique vient de dire. Ces cristaux semblent réagir à des événements extérieurs... ou à des personnes.
— Remettez-moi vos recherches. Je les examinerai au bureau, ordonne John.
— Bien, monsieur, répond le scientifique avant de quitter la pièce.
Ethan, toujours pensif, murmure :
— Je vais contacter les autres laboratoires. Ils ont peut-être observé des phénomènes similaires.
John acquiesce. La prudence est de mise. Avec tout ce qui se passe, mieux vaut rester en alerte. Après avoir récupéré les documents, ils se dirigent vers le sas de désinfection. Sur le chemin, Ethan ne peut s'empêcher de lancer une nouvelle plaisanterie :
— Alors, prêt pour ton deuxième entretien avec mademoiselle Dogger ?
John lève les yeux au ciel.
— Continue comme ça, et tu peux oublier le brunch de demain, réplique John, un sourire en coin.
Ethan fait mine de bouder, mais il ne peut pas se permettre de rater le fameux brunch préparé par la gouvernante de John. Les mets qu'elle prépare sont un délice qu'il ne sacrifierait pour rien au monde.
John, de retour dans sa limousine, pousse un long soupir en se pinçant l'arête du nez. Alors que la climatisation le rafraîchit, il compose le numéro d'Anna Dogger. Après deux sonneries, une voix féminine, grave et bourrue, lui répond.
— Oui, c'est pour quoi ? dit la voix sèchement.
John fronce les sourcils. Ce n'est pas la voix d'Anna. A-t-il fait une erreur ?
— Mademoiselle Dogger ? demande-t-il, incertain.
— C'est ma fille. Qu'est-ce que vous lui voulez ? réplique la voix, glaciale.
John grimace. La mère d'Anna, évidemment. Elle n'est pas tendre, et il se dit qu'il ne veut pas avoir affaire à elle.
— Je suis M. Owlier. J'ai rencontré votre fille hier pour un entretien, et après avoir lu ses travaux, je souhaiterais la revoir pour discuter...
Joe le coupe avant qu'il ne puisse finir :
— Il en est hors de question !
Le silence s'installe brusquement. John reste stupéfait par la fermeté de cette femme. Rarement, on lui tient tête de cette manière, et il se retrouve à court de mots. Joe, cependant, ne laisse pas l'occasion filer et enchaîne, implacable :
— Elle est malade, et si vous voulez ses recherches, vous n'avez qu'à payer vos larbins plus cher.
Elle raccroche aussitôt, laissant John abasourdi dans le silence de la limousine. Un sourire s'étire sur ses lèvres. Elle a du cran, cette femme. Mais il aime les défis.
— Rendez-vous à cette adresse, dit-il à son chauffeur en lui tendant une note.
— Bien, monsieur, répond le chauffeur.
La limousine s'éloigne en direction des quartiers modestes du sud.
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Glockstorm : par delà les visions ~ En cours
Science FictionAn 2255. La terre n'est plus comme nous la connaissions. Suite à de nombreuses catastrophes dues au réchauffement climatique, il ne reste plus que quelques îles où les survivants ont dû s'adapter. Deux cents ans après ce drame, Anna Dogger tente d...