Chapitre 5 : Le monospace de mes rêves

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Anna se réveille après une longue nuit de sommeil, ses cheveux en bataille et les membres encore engourdis. Elle bâille largement, comme si le repos ne l'avait pas totalement régénérée. Avec la dose de morphine que sa mère lui a administrée, elle s'éveille en plein après-midi, les rayons du soleil inondant sa chambre d'une chaleur intense. Elle se lève péniblement, la bouche pâteuse, et se dirige vers la fenêtre, où la lumière du jour semble oppressante, presque étouffante.

Elle enfile un t-shirt noir et une salopette grise, chausse ses converses rouges et attache ses boucles blondes en un chignon déstructuré. Son reflet dans le miroir lui renvoie l'image d'une fille épuisée, marquée par des cernes profondes. Un pansement couvre une petite plaie sur son front. Elle fronce les sourcils, essayant de se souvenir d'où vient cette blessure. La vision de la veille lui revient alors en mémoire, floue et violente. Son cerveau, encore embrouillé, peine à assembler les morceaux.

— Qu'est-ce que je fais de ma vie..., murmure-t-elle pour elle-même, alors qu'une pointe de migraine persiste, rappelant que tout n'est pas encore réglé.

Anna fouille la poche de son jeans de la veille et y trouve le cristal qu'elle a récupéré. Elle le tient un instant, fascinée par la texture de sa surface, puis le glisse dans sa nouvelle poche avant de descendre les escaliers, ses pas résonnant dans la maison. En bas, sa mère, Joe, est accroupie sous l'évier, visiblement en train de bricoler quelque chose. Anna la surprend, et Joe se cogne le front contre le meuble en se relevant.

— Bonjour maman. Désolée pour ton front, dit Anna avec un sourire en coin.

— Oh, te voilà enfin réveillée, rétorque Joe en se frottant la tête. Tu m'as fichu une sacrée trouille cette nuit.

Joe repose sa clé à molette et attrape une tasse de café qu'elle tend à sa fille. Avec un geste attentif, elle lui donne aussi un cachet d'aspirine.

— Tiens, je vois que ta migraine n'est pas totalement partie. Et on était à court de cachets, donc j'ai dû sortir en acheter.

Anna prend la tasse et le cachet, qu'elle avale d'un trait, espérant que la douleur qui lui martèle encore la tête disparaisse enfin. Elle sait que sa mère s'inquiète, même si Joe le cache derrière sa réserve habituelle. Anna jette un regard autour d'elle, notant l'état modeste de leur maison, mais cela ne l'a jamais dérangée. Ses parents ont toujours fait en sorte qu'elle ait ce qu'il lui fallait, même si cela impliquait des sacrifices. Le soutien de son père dans ses expériences, la récupération de matériaux pour son laboratoire de fortune, tout cela lui a permis de poursuivre ses passions malgré les limites.

— J'ignore toujours ce que mes visions signifient... et honnêtement, je préfère ne pas en parler pour le moment, dit Anna, détournant son regard.

Joe s'approche alors et la prend dans ses bras. Les moments d'affection sont rares entre elles, mais quand ils arrivent, Anna les accueille avec reconnaissance. Joe se détache doucement et sort deux sodas bien frais du réfrigérateur.

— Tiens, en apporte un à ton père. Il est dans le garage.

— Papa est rentré ? Super ! J'ai trop de choses à lui dire sur ma découverte d'hier, s'exclame Anna, son visage s'illuminant soudainement.

Elle pose un baiser sur la joue de sa mère, attrape les deux sodas, et file vers l'extérieur, traversant la chaleur accablante de l'après-midi. Son père, Stéphan, a une passion peu commune pour cette époque : la restauration de voitures anciennes. La plupart des véhicules motorisés d'avant-catastrophe sont aujourd'hui des reliques enfouies sous les eaux. Les voitures actuelles, toutes alimentées par l'énergie solaire, n'ont plus grand-chose à voir avec les modèles d'antan. Stéphan a sauvé un monospace lors de ses travaux sur les ponts, et il consacre ses moments de liberté à lui redonner vie.

En arrivant au garage, Anna aperçoit son père, la tête sous le capot du monospace, une fine couche de sueur brillant sur sa nuque sous la chaleur étouffante. La chaleur est presque insupportable dehors, mais pour Stéphan, qu'il pleuve ou qu'il fasse un soleil de plomb, rien ne l'empêche de bricoler.

— Bonjour papa, lance Anna joyeusement.

Stéphan relève la tête, les mains couvertes de cambouis, et sourit en voyant sa fille. Il attrape un vieux torchon pour essuyer ses mains, bien que le cambouis résiste. Anna lui tend l'un des sodas, qu'il accueille avec reconnaissance avant de boire une longue gorgée.

— Toujours la tête plongée dans ce truc, plaisante Anna en pointant du doigt la voiture.

— Ce n'est pas un « truc », réplique Stéphan avec un sourire taquin. C'est un monospace. Et j'ai presque terminé. Il ne me reste plus qu'à voir si elle démarre.

Anna regarde la voiture avec admiration. Son père a fait un travail incroyable. Les vitres, autrefois en verre, ont été remplacées par du plexiglas. La carrosserie a été réparée, repeinte en gris métallisé. Les sièges ont été changés, et le système d'alimentation, à l'origine fonctionnant à l'essence, a été converti à l'énergie solaire. Pourtant, Stéphan n'a qu'une envie : voir si ce vieux moteur peut encore fonctionner comme à l'époque.

— Tu veux faire un tour ? propose-t-il, ses yeux brillants d'excitation.

— Vraiment ? demande Anna, les mains jointes devant elle, comme une enfant impatiente.

Stéphan acquiesce, un sourire complice aux lèvres. Il sait que sa fille partage son amour pour la mécanique, et c'est l'une des rares choses qui la distrait de ses préoccupations scientifiques. Ensemble, ils montent dans la voiture, attachent leurs ceintures, échangeant un regard complice.

— C'est parti pour une petite virée, s'exclame Stéphan en tournant la clé de contact.

Le monospace vrombit doucement avant de s'animer, glissant en marche arrière hors du garage. À travers la fenêtre de la cuisine, Joe les observe partir, un sourire attendri aux lèvres. Elle sait que ces moments entre son mari et sa fille sont précieux, une évasion bienvenue loin de leurs responsabilités et des tourments qui accablent parfois Anna.

Sous le soleil brûlant, le monospace s'éloigne doucement, emportant avec lui deux âmes complices, prêtes à profiter de cette bulle de répit dans un monde de plus en plus complexe.

Glockstorm : par delà les visions ~ En coursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant