Chapitre 7 : Une catastrophe n'arrive jamais seule

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Pédalant à toute vitesse, Dennis dévale les pentes et manœuvre habilement à travers les virages, secoué par le terrain accidenté sous ses roues. Son cœur bat la chamade, et son souffle est saccadé. Il doit retrouver Anna au plus vite. Joe ne pourra pas tenir longtemps face à cet homme, même avec son tempérament de fer.

Arrivant enfin en haut de la colline, il aperçoit la scène : une tension palpable flotte dans l'air. Stéphan est debout, la main posée sur son front, les yeux fermés, la tête levée vers le ciel, comme s'il cherchait des réponses. Anna, de son côté, se tient face à l'océan, les poings serrés, ses épaules tremblant légèrement sous l'émotion qui la traverse.

— Heu...

Dennis hésite, ne sachant pas où se placer. Il ne veut pas interrompre cet échange silencieux, mais chargé entre le père et la fille. Stephan ouvre un œil et remarque sa présence.

— Dennis ? Que fais-tu ici ?

Dennis reprend son souffle et s'approche, pédalant lentement jusqu'à Stephan.

— Stephan, c'est urgent ! Je voulais voir comment allait Anna, et c'est là que j'ai vu une limousine se garer devant chez vous. J'ignore si Joe pourra se débarrasser de cet homme, il a l'air... particulier.

Anna, perdue dans ses pensées, capte soudain la voix de son ami. Elle se tourne vers lui, le regard encore brouillé par la confusion, puis elle aperçoit le visage fermé de son père. Un frisson lui parcourt l'échine. Qui est cet homme venu chez elle ?

— Dennis, mets ton vélo dans le coffre. On n'a pas une seconde à perdre, ordonne Stephan.

Il ouvre le coffre, et Dennis, sans poser de questions, balance son vélo à l'intérieur, montant ensuite précipitamment à l'arrière. Anna monte également, sans attendre que son père ne le lui dise. Stephan tourne la clé dans le contact, puis recule avec un dérapage contrôlé, forçant Anna et Dennis à s'accrocher aux poignées du monospace. La voiture file à toute allure, soulevant des nuages de poussière dans son sillage.

Alors qu'ils quittent la colline dans leur course effrénée, aucun d'eux ne remarque les nuages rosés qui s'amoncellent à l'horizon. Dans cette brume étrange, une île apparaît brièvement, comme un mirage, avant de disparaître à nouveau dans les cumulus.

* * *

— Je vous l'ai déjà dit, à moins d'être complètement bouché, ma fille n'est pas ici.

John Owlier reste immobile, les bras croisés, face à Joe Dogger, surpris par son insolence. Il ne s'attendait pas à faire face à la même femme qu'il avait eue au téléphone. Cette situation le prend de court. Joe, avec son look de pin-up des temps modernes et son attitude provocante, mâchouille un chewing-gum de manière vulgaire sous son rouge à lèvres criard. Une batte de baseball repose nonchalamment sur son épaule, prête à l'emploi si besoin.

Arcane, le majestueux hibou de John, rejoint son maître, sentant la tension croître. Perché sur l'épaule de John, il fixe Joe de ses yeux perçants. Cette dernière plisse les yeux en apercevant l'oiseau. Un rictus se dessine sur son visage, et elle retrousse les manches de sa chemise à carreaux, dévoilant une série de tatouages complexes qui attirent immédiatement l'attention de John.

Son regard s'attarde sur ces marques. Il reconnaît les symboles sans mal. Il sait exactement ce qu'ils signifient. Ce sont des signes d'une lignée ancienne, dangereuse. Il sent que Joe n'est pas une femme à sous-estimer. Son instinct lui crie de rester prudent. Une tension palpable s'installe entre eux, chacun jaugeant l'autre du regard, cherchant à deviner ce que l'autre cache.

— Quel est votre nom ? siffle John entre ses dents, tentant de cacher son agacement.

Joe ricane, son sourire sournois s'agrandissant. Elle n'a pas peur de cet homme.

— Qu'est-ce que ça peut vous foutre, morveux ? réplique-t-elle en le dévisageant, provocante.

La situation devient électrique. John le sent, elle aussi. Ils savent tous deux qu'ils se trouvent sur un terrain dangereux. Les tatouages de Joe lui confirment ce qu'il craignait : elle appartient à une lignée qui a autrefois choisi de se séparer de leurs animaux totémiques, un sacrifice fait pour garantir la survie de leurs descendants. Ces familles sont redoutées et repérables à leurs marques distinctives, gravées dans leur peau.

Le face-à-face est brutal, interrompu seulement par le bruit d'un accident derrière eux. Deux voitures viennent de se percuter. John se retourne brusquement et aperçoit sa limousine légèrement enfoncée contre un lampadaire. En face, un véhicule d'une autre époque se gare en trombe dans l'allée. À l'intérieur, il reconnaît immédiatement la jeune femme qui était dans son bureau hier.

Anna.

— Je vous préviens, ne vous avisez pas de vous approcher de ma fille, grogne Joe en resserrant sa poigne sur la batte.

John ne se laisse pas impressionner. Un sourire acerbe tord ses lèvres.

— Sinon quoi ? Hein ? Sans votre loup, vous n'êtes rien, madame Dogger.

Le ton de John est glacial, presque venimeux. Joe baisse lentement sa batte, réalisant la menace implicite. Elle sait désormais à qui elle a affaire. Du coin de l'œil, elle voit Stephan descendre précipitamment du véhicule et se diriger vers elle en courant. Dennis et Anna restent en retrait, silencieux. Anna semble encore bouleversée par les événements de la journée, ses yeux bleu foncé trahissant une profonde tristesse.

— Stephan, quel plaisir de vous revoir, dit John avec un sourire forcé.

— Monsieur Owlier, que nous vaut cette visite ? rétorque froidement Stephan, s'avançant pour se placer aux côtés de sa femme.

John sait qu'il doit jouer ses cartes avec finesse. Stephan n'est pas n'importe qui, et il est l'un de ses employés les plus talentueux. Il ne peut pas se permettre de brusquer la situation. Stephan, quant à lui, se penche vers Joe et lui murmure quelque chose à l'oreille. Elle acquiesce, commençant à rebaisser ses manches.

Leurs filles ne savent donc pas tout, pense John, observant la scène avec attention.

— Je souhaitais revenir sur le projet de votre fille. J'ai peut-être été un peu trop brusque hier et je n'ai pas pris le temps d'écouter ce qu'elle avait à proposer.

Anna avance lentement, le regard fixé sur John. Sans dire un mot, elle sort le diamant obtenu la veille et le tend vers lui. Stephan se crispe instantanément.

— Suivez-moi, déclare Anna en bravant les ordres de son père.

Stephan tente de l'arrêter en lui attrapant le bras, mais Anna se dégage d'un geste sec. Ses yeux lancent des éclairs. Elle ne reculera pas. Dennis, confus, se gratte la nuque, ne comprenant pas la situation. Il décide alors de s'éloigner. Joe l'aperçoit et se rapproche de lui.

— Dennis, murmure-t-elle. Les jours qui viennent vont être sombres. Prends le strict nécessaire et ramène ta famille ici demain matin. Nous allons devoir quitter l'île.

Dennis reste figé, abasourdi par ses paroles. Quitter l'île ? Comment ? Pourquoi maintenant ? Il sait qu'il y a un vaste océan autour de Stormdale, sans issue visible. Mais Joe est sérieuse, son regard grave, lui indiquant que la situation est bien plus critique qu'il ne l'imaginait.

Il hoche la tête, récupère son vélo dans le coffre, et s'éloigne sans un mot de plus, son esprit tourmenté.

Joe, elle, reste devant la porte, regardant l'étrange scène qui se joue devant elle. Elle sait que le diamant que sa fille a en main n'est pas apparu par hasard. Il est le symbole d'un secret sombre et ancien, un secret qui lie leur famille à quelque chose de bien plus grand. Anna est au cœur de tout cela.

Le cœur lourd, Joe comprend que l'heure est venue. La ville de Stormdale va être bouleversée, et il n'y aura pas de retour en arrière. 

Glockstorm : par delà les visions ~ En coursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant