Chapitre 11 : La réalisation de la vision

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— Maman, où est papa ? demande Anna, sa voix tremblante, alors qu'elle est assise à l'avant du monospace.

Le véhicule est bondé, serré à craquer avec Dennis, sa famille, et leurs bagages, tassés comme des sardines.

— Il nous attend au point de rendez-vous, il est parti tôt cette nuit pour tout préparer, répond Joe d'un ton sec, les mains crispées sur le volant.

Tôt ce matin, Joe était sur le pied de guerre. Il n'y avait plus une minute à perdre. Maintenant, ils sont bloqués dans un embouteillage monstre, l'autoroute saturée de voitures. Joe sait qu'il faut atteindre le pont en construction au Sud-est, mais les voitures s'accumulent, et chaque minute perdue les rapproche du désastre.

— Je ne comprends toujours pas ce remue-ménage, souffle Rosalie, la mère de Dennis, en essayant de rassurer les plus jeunes à l'arrière.

— Rosalie, ce n'est pas le moment d'expliquer, tranche Joe d'un ton sec, ses nerfs à vif.

Les plus jeunes, Gary et Axelle, sanglotent doucement, terrifiés par la situation. La chaleur étouffante du monospace les accable. Dennis, toujours prévoyant, leur tend des bouteilles d'eau et humidifie un linge pour apaiser leurs fronts brûlants. Il garde son calme, bien que la panique soit clairement visible dans ses yeux. Anna, en jetant un coup d'œil à ses amis, ressent une vague de compassion. Elle aussi a peur, mais ses pensées sont ailleurs. Elle a oublié de fermer l'armoire de son laboratoire. La chaleur extérieure va avoir un effet néfaste sur la substance rose.

— Bougez votre cul ! rugit Joe, en klaxonnant impitoyablement.

Le ton brusque de sa mère surprend Anna, la sortant de ses pensées. Elle n'a jamais vu sa mère aussi tendue. Quelque chose de plus profond ronge Joe, et cela ne fait qu'accentuer l'inquiétude d'Anna.

— Tu as mal à la tête ? Une vision arrive ? interroge Joe, observant du coin de l'œil Anna se masser la tempe.

— Non, maman. Ça va, répond Anna d'une voix éteinte, bien loin de la réalité.

Elle sait que cela ne va pas. Les visions ne mentent jamais. Ses pensées dérivent, et elle commence à se rappeler les images terrifiantes de ses derniers cauchemars.

Soudain, des hurlements retentissent à travers l'autoroute. Une brume rosée, éthérée et menaçante, se déplace lentement en longeant les voitures. Un silence lourd plane alors que tous les regards se tournent vers ce phénomène surnaturel. Puis, un bus rempli de passagers émerge du nuage, désintégré, tombant en chute libre avant de s'écraser dans un fracas assourdissant sur la chaussée.

Anna reste figée. Tout ce qu'elle a vu est en train de se produire. Elle ne peut pas y croire, mais c'est bien réel. La scène est comme une déchirure dans la réalité, le chaos s'abat sans prévenir. Elle tourne lentement la tête vers sa mère. Joe aperçoit la panique dans les yeux de sa fille. Elle comprend instantanément que la vision d'Anna est devenue réalité.

— Accrochez-vous ! conseille Joe d'une voix tendue, avant d'appuyer sur l'accélérateur.

Le monospace bondit en avant, quittant la file de voitures bloquées et se lançant sur la bande d'arrêt d'urgence. Le moteur vrombit tandis que Joe accélère encore, doublant les véhicules à une vitesse dangereuse. Le stress et l'angoisse montent dans l'habitacle, palpable comme une onde de choc. Dennis tente de calmer ses frères et sœurs tandis que Rosalie devient hystérique, hurlant des prières à demi inaudibles.

Anna, elle, observe la destruction autour d'elle, figée par la terreur. Des bâtiments s'effondrent dans la brume, des voitures se volatilisent, des passants disparaissent dans des nuages roses avant de réapparaître dans les airs, pour s'écraser violemment au sol. Le monde se désagrège sous ses yeux. Le sang et la destruction se répandent, transformant la ville de Stormdale en une vision d'enfer.

Un bruit strident, comme un sifflement métallique, perce l'air. Une rame de métro, sortie de nulle part, fend l'air, projetée à grande vitesse, forçant Joe à piler au dernier moment. La voiture s'immobilise en plein milieu du trottoir, juste avant que le train ne disparaisse de nouveau dans un nuage de brume.

— On est dans une vision... c'est ma vision ! murmure Anna, ses yeux écarquillés, paralysée par ce spectacle d'horreur.

Joe n'a pas le temps de répondre. La brume les encercle. Le pont est à seulement quelques kilomètres, droit devant, mais la brume se rapproche trop vite. Joe sait qu'ils sont piégés.

Elle ferme les yeux un instant, inspirant profondément. Elle sait quoi faire. Elle a déjà affronté des situations extrêmes. Le chaos ne l'effraie pas, mais ce nuage rose, cette menace invisible, est différente. Joe se penche vers la boîte à gants et en sort une cassette audio poussiéreuse, vestiges du passé de sa famille. Crazy Train d'Ozzy Osbourne. Elle sourit en voyant le titre à moitié effacé, glisse la cassette dans le lecteur et mâche un chewing-gum avec une lenteur calculée.

Tous la regardent, choqués par son calme. Elle remonte lentement ses manches, dévoilant ses bras couverts de tatouages complexes : des rosaces entrelacées avec des rouages mécaniques, au centre desquels se dresse une étrange créature aux oreilles pointues. Une horloge surmontant la scène marque 23 heures.

Anna reconnaît les tatouages, ses visions les lui ont déjà révélés. Sa mère cache un passé mystérieux, quelque chose de plus profond qu'Anna n'avait imaginé.

— Maman... commence Anna, mais Joe l'interrompt.

— Accrochez-vous, répète Joe avec une voix calme, mais tendue.

D'un geste vif, elle fait crisser les pneus, passe une vitesse supérieure et tire sur le frein à main, faisant déraper le monospace dans un nuage de fumée. Tout le monde dans la voiture hurle, les enfants de terreur, Rosalie d'hystérie, et Dennis dans un silence résigné. Anna, elle, reste muette, incapable de comprendre comment sa mère garde autant de sang-froid.

Le monospace fonce droit dans la brume. Ils plongent dans l'inconnu.

La voiture vole littéralement à travers le nuage épais, la brume enserrant la carrosserie comme une main glaciale. La visibilité est nulle, mais Joe garde le pied appuyé sur l'accélérateur. Anna aperçoit brièvement une ville en contrebas, mais elle disparaît aussi vite qu'elle est apparue, avalée par la brume.

Joe serre les dents. Dans le brouillard, elle entend un son lointain, un hurlement, un souvenir douloureux de son enfance refait surface. Elle ferme brièvement les yeux, son cœur se serre, mais elle ne fléchit pas. Pas maintenant.

Enfin, le monospace jaillit de la brume, rebondissant lourdement sur ses roues avant de déraper hors de contrôle. Le véhicule effectue plusieurs tours sur lui-même avant de percuter une rambarde à l'intérieur d'un tunnel avec fracas. Le monospace tombe en ruine, mais ils sont sortis vivants.

Les portes s'ouvrent, les passagers sortent, hagards, désorientés. Joe tombe presque du siège, le corps tremblant d'adrénaline. Anna, les jambes en coton, aperçoit son père courir vers eux, le visage blême d'inquiétude.

— Maman... tu l'as fait ! souffle Anna, accourant vers Joe pour l'aider à se relever.

Stéphan les enlace toutes les deux, son soulagement palpable.

— Vous allez bien ? Mes chéries, vous n'avez rien ? s'exclame-t-il, ses bras entourant ses deux amours.

Les collègues de Stephan s'affairent autour du monospace en ruine, aidant Dennis et sa famille à décharger les bagages. Joe attrape la main de son mari et lui murmure quelque chose à l'oreille. Il se fige.

— Tu avais arrêté, souffle-t-il, un brin de colère dans la voix.

— Papa, si c'est ce que je pense, tu peux bien lui en autoriser une, intervient Anna. Elle nous a sauvées.

Stephan, résigné, sort une boîte en métal de sa veste et la tend à Joe. Elle attrape une cigarette avec des gestes fébriles et l'allume.

— Profitez-en pour vous rafraîchir, nous partons dans une heure, annonce Stephan à la foule.

Anna, encore sous le choc, grimpe sur une échelle menant aux plateformes surplombant le tunnel. De là-haut, elle voit la brume engloutir Stormdale, dévorant tout sur son passage. Son cœur se serre, une douleur profonde l'envahit.

C'est la fin de leur monde, et elle ne peut rien y faire. 

Glockstorm : par delà les visions ~ En coursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant