John Owlier fait les cent pas dans son vaste bureau, tenant son téléphone à l'oreille. La conversation est tendue, presque violente.
— Vous nous avez assuré que tout était sous contrôle ! Comment pouvez-vous expliquer ce désastre ? hurle l'un des hauts dignitaires de Stormdale de l'autre côté du combiné.
— Je vous assure, monsieur, que tout a été prévu pour une situation de ce genre, réplique John en essayant de garder son calme.
— Ne jouez pas avec mes nerfs, Owlier ! tonne la voix à l'autre bout.
John lève les yeux au ciel, frustré par cette arrogance. Il se laisse tomber dans son fauteuil, tapotant nerveusement les doigts sur son bureau en bois sombre. Le soleil n'est même pas levé et déjà, il se fait incendier par ces bureaucrates terrés dans leurs bunkers, loin du chaos.
— Je vous tiendrai informé de l'évolution, déclare John, essayant de couper court à la conversation.
Le dignitaire raccroche brutalement, laissant un silence pesant. John, dans un accès de rage, lance son téléphone à travers la pièce. Il s'écrase contre le mur dans un bruit sourd, juste au moment où la porte s'ouvre sur la gouvernante.
Elle entre, imperturbable, portant un plateau d'argent avec une tasse de thé fumante.
— Souhaitez-vous que je vous apporte quelque chose de plus fort, monsieur ? demande-t-elle avec calme.
— Non, ça ira. Merci de votre amabilité, murmure John, soupirant profondément. Cela fait du bien dans ce monde d'incompétents.
— Comme vous voulez, monsieur, répond-elle avec un sourire discret avant de s'incliner légèrement et de quitter la pièce.
John reste assis un moment, sa tête entre ses mains. Il est épuisé. Depuis la visite d'Anna Dogger dans son bureau, il n'a pas fermé l'œil. Trop de choses s'accumulent : la substance qui se cristallise, le bras de fer avec Joe Dogger, l'accident au laboratoire Est. Tout part à vau-l'eau.
— Est-ce que j'ai été trop brusque avec Anna ? se demande-t-il, frustré par ses propres excès.
— Évidemment que tu l'as été, intervient une voix familière.
John relève la tête pour voir Ethan, mal fagoté et visiblement exténué, mais toujours avec ce sourire ironique qui le caractérise.
— Quelles sont les nouvelles ? demande John en ignorant la remarque, bien qu'il sache qu'elle est justifiée.
Pendant une seconde, il espère une bonne nouvelle, mais il suffit de voir le visage sombre d'Ethan pour que cet espoir s'effondre.
Ethan, habituellement enjoué même dans les pires situations, semble avoir perdu tout son humour. Il prend une profonde inspiration avant de se lancer :
— John, on se connaît depuis l'adolescence, alors je vais être direct. Nous avons perdu toute communication avec le laboratoire Est. L'entrée est condamnée. Le laboratoire Nord et Ouest, c'est encore pire, les hauts dirigeants ont pris le contrôle et nous ont bloqués l'accès. Quant au Sud... ils m'ont donné une bonne et une mauvaise nouvelle.
John sent son estomac se nouer. Il fixe Ethan, retenant son souffle.
— Qu'est-ce qu'ils ont dit ? demande-t-il d'une voix tendue.
— Ils ont réussi à pirater les systèmes des laboratoires auxquels on n'avait plus accès, ça, c'est la bonne nouvelle, explique Ethan, un sourire forcé aux lèvres.
— Et la mauvaise ?
— La mauvaise, c'est que le laboratoire Sud avait également la substance. Au lieu de se cristalliser, elle a formé une brume. Une brume qui avale tout sur son passage. Ils essayent de contenir la menace en fermant les conduits d'aération, mais on ne sait pas combien de temps ça va tenir.
La brume. Ce simple mot suffit à figer John. Une vague de colère et de frustration le submerge. Tout ça... à cause de leur incompétence.
— Donc, en gros, ils ont commis l'erreur qu'on ne devait surtout pas faire, et maintenant ils nous laissent gérer le désastre, résume John avec amertume. Comme d'habitude.
— Exactement, confirme Ethan, hochant la tête.
John serre les dents.
S'ils étaient en face de moi, je les...
Il serre les poings, imaginant les visages de ces dirigeants confortablement installés dans leurs bunkers, tandis que lui doit résoudre leurs catastrophes. La rage bouillonne en lui, mais il sait qu'elle ne lui servira à rien.
— Tu veux un verre ? propose-t-il, cherchant à occuper ses mains avant de céder à la violence.
Ethan acquiesce, sortant de sa torpeur pour s'asseoir lourdement sur le canapé. John lui sert un verre de scotch, avant de s'en verser un pour lui-même. Au même moment, le téléphone d'Ethan vibre.
Il décroche et, pendant quelques instants, son visage, d'abord tendu, se détend peu à peu.
— Merci Davis. Prends soin de toi, conclut Ethan avant de raccrocher. Il se laisse tomber dans le canapé, un sourire soulagé aux lèvres.
— Des bonnes nouvelles, enfin ? demande John.
— Oui. Davis, l'ingénieur en chef des hackeurs Sud, a réussi à pomper de l'eau de l'océan grâce aux interponts et à la déverser dans les trois laboratoires principaux. La brume a été neutralisée. Par contre, on a perdu plusieurs membres du personnel.
John prend une gorgée de scotch, laissant le liquide brûler sa gorge.
— C'est un mal nécessaire. Tant que cette foutue substance ne pose plus de problème, tant mieux.
Il préfère ne pas s'attarder sur les pertes humaines.
Les sacrifices sont inévitables, se dit-il, surtout dans des situations comme celle-ci. Mieux vaut une poignée de morts que des milliers.
Pendant un moment, les deux hommes se détendent. Ethan retrouve son sens de l'humour, racontant des blagues idiotes pendant qu'ils partagent un brunch improvisé. John, pour la première fois depuis des jours, profite d'un court répit. La musique douce qui émane de son système audio emplit la pièce, et il caresse doucement Arcane, son hibou, perché sur le rebord du balcon.
Mais ce moment de calme est de courte durée. Un bruit de klaxons résonne depuis la rue en contrebas. D'abord lointain, il devient de plus en plus intense, brisant la quiétude.
John lève la tête, se penche au-dessus de la rambarde du balcon, et baisse les yeux sur la ville. La panique s'est emparée des rues. Les gens courent dans tous les sens, des voitures se percutent, des pilleurs commencent à s'agiter, profitant du chaos.
— Qu'est-ce qui se passe ? murmure-t-il, son regard perçant cherchant la source du problème.
Il se concentre sur Arcane quiconque s'envole aussitôt, ses grandes ailes battant l'air lourd. John ferme les yeux et se connecte à son hibou, partageant sa vision. L'oiseau vole rapidement, survolant la ville, jusqu'à arriver à un endroit familier.
La maison des Dogger.
La brume rose bonbon s'étend dans la rue, dévorant tout sur son passage. Les arbres, les maisons, tout se dissout dans cette étrange vapeur.
John sent son cœur s'accélérer.
Comment ai-je pu oublier ça ?
La coupe de verre qu'il tient se brise sous la pression de sa main, des éclats de cristal tombant à ses pieds.
J'ai baissé ma garde.
Le calme apparent était une illusion. La vraie menace est toujours là. Et elle est plus proche que jamais.
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Glockstorm : par delà les visions ~ En cours
Bilim KurguAn 2255. La terre n'est plus comme nous la connaissions. Suite à de nombreuses catastrophes dues au réchauffement climatique, il ne reste plus que quelques îles où les survivants ont dû s'adapter. Deux cents ans après ce drame, Anna Dogger tente d...