2. A L'ABORDAGE !

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        Main au front, le Minotaure observait avec attention le bâtiment mercantile qui voguait aux seules allures du largue, toute rame rentrée. A première vue, il s'agissait d'une birème[1] des plus communes en provenance des côtes celtibériques... ou carthaginoises... ou d'ailleurs.

        Au fur et à mesure qu'elle approchait, le doute n'était plus permis. Sa forme massive et son gréement – une unique grande voile carrée – ne trompaient pas. La galère d'origine phénicienne (?) ou perse (?) ou grecque (?) – Xytrios s'en moquait autant que ses premiers larcins – faisait route vers un lieu quelconque de l'Extrême-Orient – lieu qui l'indifférait au plus haut point à vrai dire – après avoir troqué des étoffes ou des encens ou des épices – ou un peu de tout ça, cela n'avait aucune espèce d'importance de toute façon – contre l'or et l'argent des territoires celtibériques ou carthaginois. Les origines du pourquoi et du comment lui importaient peu. Seul comptait le butin que transportait cette birème : de l'or et de l'argent assurément. Une cargaison plus qu'alléchante. Hermès, le dieu des voleurs, se montrait généreux en cette période : il offrait aux Barons une proie facile. 

     Quant à l'équipage d'un tel navire, il se limitait en général à moins d'une centaine de rameurs – des esclaves faciles à effrayer ; à une dizaine de soldats armés – qui ne résisteraient pas longtemps face à sa horde de brutes exterminatrices – et à quelques voyageurs fortunés qui ne demandaient qu'à être dépouillés. Sans oublier les matelots dévolus aux manœuvres du bateau : dix... ou huit ? Peut-être moins. De braves gars à ne pas en douter... avec une femme éplorée qui les attendait sur le quai du port, peut-être aussi avec quelques mouflets à nourrir ; de braves gars c'est vrai mais de braves gars qui seraient éliminés au cours de la bataille. Des dommages collatéraux en somme.

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        Xytrios caressait les poils drus de son menton avec une certaine satisfaction, fier de son prochain carnage. « Tous à vos postes, bande de chiens pouilleux. »

        Les pirates, aux aguets depuis que la birème avait été repérée, n'attendaient plus que l'ordre de Xytrios pour donner le branle. Les plus sanguins couraient en tous sens pour rejoindre leurs postes au plus vite au mépris de leurs compagnons qu'ils bousculaient sans vergogne. Ces jeunes impertinents s'agitaient tels des porcs affamés qui se ruent dans l'auge. Les vétérans connaissaient la routine et traînaient plus volontiers avant d'asservir leurs tâches ; ils laissaient se dissiper – feignant de l'ignorer – ce brusque vent de précipitation. Quelques hommes hissaient la grand voile à grand renfort de cris rauques tels des fauves en rut tandis que la majorité d'entre eux s'emparait des avirons.

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        Aux côtés de Xytrios, se dressait Archélaos, le bras droit du capitaine. D'un point de vue physique, tout les opposait : autant Xytrios impressionnait par sa carrure de molosse à l'ossature massive, autant Archélaos exhibait un corps svelte à la musculature sèche. Les cheveux noirs hirsutes et courts du capitaine tranchaient avec la chevelure blonde comme les blés, longue et soyeuse de son second. Le visage brun du Minotaure marqué par le soleil et les affres du temps contrastait avec la blancheur et la peau lisse du jeune prodige. Le premier ressemblait à un ours velu mal léché alors que l'autre, imberbe et glabre, souriait à pleines dents.

        Un sourire enjôleur à la dentition parfaite auquel nombre de malheureux innocents avaient eu trop souvent tendance à se fier. Ils s'étaient imaginés qu'ils allaient être graciés : un visage aussi angélique que celui-là ne pouvait guère tuer ; ce fils d'Apollon ne pouvait guère les empaler sur son épée comme les autres victimes éparpillées alentour. Ils avaient scruté au fond du bleu profond de ses yeux l'étincelle de pitié qui aurait pu en émaner. Archélaos choisissait ce moment précis, cet instant où l'espoir renaît, pour les saigner à blanc : il plantait en un éclair la lame de son épée dans le gras de leur estomac puis la retirait avec lenteur. La stupeur se lisait encore dans leurs yeux alors que la vie les quittait.

SIRÈNES - LIVRE I - LES BARONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant