5. L'INSTINCT DE SURVIE - LES ESCLAVES

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        Sur le pont inférieur, la panique s'était infiltrée parmi les hommes. Au fur et à mesure que les combats s'étaient intensifiés, que les cris de terreur s'étaient multipliés, elle avait grossi, s'était s'amplifiée, avait grignoté du terrain jusque dans les recoins les plus inaccessibles des esprits de chacun.

        Terrible pandémie qui contamine toutes âmes alentour.

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        Les esclaves zygites et thalamites avaient lâché les rames et s'étaient regroupés en troupeaux éparses – groupes qui miaulaient de peur en alternance en fonction de la proximité ou de l'éloignement du danger estimé. 

        La collision avait été si violente que sous le choc, les rameurs avaient été projetés contre la paroi opposée de la coque. Le flanc de la birème avait été en grande partie détruit. Pire, une bonne vingtaine de rameurs avait été décimée : la plupart gisait déjà au fond des abysses alors que quelques-uns avaient été empalés par les planches en bois qui constituaient la charpente de la coque du navire. Sous la puissance de l'impact, chevilles et tenons avaient été arrachés de leurs embrèvements ; les planches s'étaient fendues comme des brindilles et s'étaient transformées en véritables pieux aiguisés. Les bordages avaient littéralement été défoncés et offraient une ouverture béante qui s'ouvrait sur une mer sans fond... ce qui les terrifiait tous. Une proue ennemie trônait dorénavant en lieu et place des bancs qu'occupaient les défunts.

        La plupart des yeux restaient braqués en direction du plancher supérieur sur lequel les rameurs entendaient le bruit sourd des pas précipités, les supplications de ceux qui priaient à genoux et imploraient la pitié des Dieux, les hurlements stridents qui déchiraient l'atmosphère marine, la rythmique des piétinements lors des combats rapprochés et les corps sans vie qui s'effondraient sur le plancher dans un funeste bang final. Par quelques fentes du plancher qui les surplombait, du sang s'écoulait en minces filets continus.

        Les esclaves les moins débrouillards stagnaient sur place, rassurés par la seule présence des autres. Peut-être espéraient-ils qu'on eût oublié jusqu'à leurs existences dans l'embarcation ! Les gars un peu plus futés réfléchissaient à un endroit où se dissimuler si on venait à les débusquer.

        Pour le moment, comme les batailles se déroulaient au dessus d'eux, une sagesse commune ineffable les incitait à demeurer tapis dans l'ombre de cet abri de fortune. Toutefois de rares intrépides songeaient à regagner le pont supérieur dès les premiers signes d'accalmie.

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        Schekeresch s'était camouflé au centre d'un troupeau d'une quinzaine d'esclaves puants à la musculature qui ferait pâlir d'envie le puissant Hercule.

        Schekeresch exerçait la fonction de hortator[1], autrement dit chef des rameurs. Connu pour son caractère odieux, son orgueil et sa vanité, détesté pour les ordres contradictoires qu'il braillait, il n'était guère apprécié par l'ensemble des hommes. Il voulait prouver au monde entier que malgré son nanisme, il savait imposer le respect.

        Lui-même avait débuté sa carrière en tant que rameur – et esclave, poste qu'il avait à présent complètement renié. Ce libyque affranchi à la peau noire bouillonnait de grandes ambitions et il ne comptait pas stopper sa progression dans la hiérarchie marine à ce niveau si pitoyable. Très bientôt, il rejoindrait l'équipage qui s'activait sur le pont supérieur et travaillerait à la lumière du jour. Avec l'intelligence supérieure et l'autorité naturelle qui le caractérisaient, il ne faisait aucun doute qu'il parviendrait jusqu'aux plus hauts sommets de la République romaine tôt ou tard – et plutôt tôt que tard.

SIRÈNES - LIVRE I - LES BARONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant