14. LE MASSACRE

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Toujours roulé en boule, Schekeresch sortit la tête à la façon d'une tortue qui s'extirpe de sa carapace.

Alors que l'ennemi marquait un moment d'hésitation, il le mit à profit pour déployer ses membres, bander mollets et fessiers, basculer un peu vers l'avant en soulevant les talons pour se mettre sur la pointe des pieds. Il restait sur le qui-vive. Dès que le cyclope brandit son arme, il déguerpit à quatre pattes et en quatrième vitesse sans demander son reste : Schekeresch se faufila entre les jambes du géant. Il fonçait tel un renard effrayé parmi les corps étendus qu'il piétinait avec un seul objectif en tête : les escaliers. Il tentait le tout pour le tout.

L'un des cerbères qui gardait la zone étranglait en ce moment-même un des rameurs alors que le second, les bras croisés, avait la tête tournée du côté opposé et admirait le spectacle. Aucun des deux ne donc prêta attention à ce nain, véritable courant d'air qui escalada les marches à toute vitesse.

Dans l'empressement, Schekeresch dérapa plusieurs fois : il se cogna le menton, les coudes, les genoux et les tibias contre la tranche des marches.

Cela ne suffit pas à stopper sa fuite.

Quelques marches avant le sommet, il stoppa sa course folle. Il vérifia d'abord derrière lui : aucun barbare ne l'avait suivi. Parfait.

Il demeura tapi dans l'ombre quelques instants afin de reprendre son souffle.

Ses mains agrippèrent ensuite le rebord au niveau du pont supérieur. Il hissa son visage avec une extrême lenteur et une extrême prudence jusqu'à hauteur des yeux. Il examina les lieux de façon circulaire : le pont supérieur avait été quasiment déserté. Il grimpa d'une marche supplémentaire et repéra tout de suite le célèbre capitaine Xytrios sur le pont de l'embarcation ennemie.

Non loin de là où il se trouvait, il localisa trois tonneaux empilés.

Il n'avait plus le choix, il devait avancer. Rester dans les escaliers signerait sa perte tôt ou tard. Il fixait avec attention Xytrios. Dès que ce dernier eut tourné le dos, il s'extirpa de sa cachette et courut se terrer derrière le mur de tonneaux.

Accroupi, tous les sens en alerte, il concentra ses esprits sur les bruits alentour. Il distingua la cacophonie qui faisait rage en dessous de lui, il reconnut les hurlements des rameurs en train de se noyer, les braillements de ceux en train de se faire massacrer, il identifia les grognements de bêtes sauvages des pirates. En revanche, pas le moindre signal d'alarme ni aucune escouade lancée à ses trousses. Les barbares sur le bateau ennemi avaient l'air d'un calme olympien.

Il se redressa et se pencha pour s'en persuader. L'horrible Minotaure était toujours de dos. Personne ne l'avait pris en chasse. Schekeresch émit un profond soupir de soulagement et s'assit contre l'un des tonneaux. Pendant qu'il s'essuyait le front couvert de gouttes de sueur du revers de la main, il déversa un flot de jurons blasphématoires qui produisirent chez lui un effet apaisant. Rien de tel qu'une longue ribambelle de grossièretés bien salaces pour expulser toute l'anxiété accumulée !

Quelle serait la prochaine étape à présent ?

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Les Barons parachevaient leur carnage de façon anarchique.

Archélaos, Gorgo et Slask comptaient parmi ceux qui avaient éliminé un maximum d'esclaves en un laps de temps record. Rien qu'à eux trois, ils avaient déjà éliminé plus de la moitié de l'effectif des rameurs.

Les autres Barons s'affairaient : ça bastonnait, ça martelait, ça cognait, ça étranglait, ça tranchait, ça jurait des infamies ; ça crachait, ça tailladait, ça dérouillait, ça hachait, ça castagnait, ça blasphémait des horreurs sur tous les dieux de l'Olympe réunis ; ça fracturait, ça trucidait, ça rigolait et ça hurlait, ça menaçait, ça étripaillait, ça insultait tout en remodelant le portrait ; et ça jouait avec des membres arrachés, et ça se lançait des viscères en pleine tronche pour exciter encore plus le goût du sang...

SIRÈNES - LIVRE I - LES BARONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant