4. SANS FOI NI LOI

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        Caractérisé par une inertie qui n'avait d'égal que son appétit vorace, Ucinius arriva le dernier. Il avait beaucoup de peine à mouvoir sa masse graisseuse et laissait la baston à ses comparses ; sa priorité se situait là où vin et victuailles étaient entreposés. Il s'assit avec une lourdeur éléphantesque sur le pont – ou plus exactement, se laissa choir sur son triple rembourrage de postérieur. Il se gratta le sommet du crâne pour définir un plan d'action : quel parcours le mènerait sans embûche jusqu'à la réserve des provisions ?

        Il se creusait la tête lorsqu'il repéra à proximité une jeune vierge effarouchée, fraîchement pubère et particulièrement à son goût. La jeune fille passa dans un courant d'air et laissa dans son sillage un effluve sucré de miel qui fit saliver le pirate. Par réflexe, il tendit le bras pour la saisir par la cheville. Il la rata. Ses doigts effleurèrent à peine sa peau blanche, veloutée et tellement appétissante. Il sentit ses hormones mâles le titiller au plus profond de lui-même.

        Cela faisait si longtemps – des lunes et des lunes ! – que les Barons erraient sur la mer Tyrrhénienne. Combien de temps ? Il ne saurait l'évaluer exactement – de toute façon, il ne savait pas compter – mais il certifierait qu'il avait vu la lune pleine pour chacun des doigts d'une main. Quant au plaisir onaniste à la va-vite dans un coin de cale..., cela ne lui suffisait guère plus.

        Alors surgit en lui le désir fou, violent et bestial de l'homme en rut gouverné par ses plus vils instincts primaires. Il se releva avec peine dans un râle et entreprit de la poursuivre. Le sol crissait sous chacun de ses pas pesants et menaçait de céder. On aurait dit que les lattes de bois hurlaient leur douleur chaque fois qu'il les foulait. 

        Ucinius se déplaçait vers sa dulcinée avec une rapidité de gastéropode, le souffle haletant.

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        Au cœur de cette pagaille, Gorgo et Archélaos avaient également repéré la belle. Malgré les obstacles humains qui obstruaient leur parcours, tous deux essayaient de l'attraper. La tâche s'avérait d'autant plus ardue que la pucelle prenait des directions aléatoires totalement imprévisibles. A chaque fois, Aspasie leur échappait en lâchant un grand rire juvénile qui les rendait fous d'excitation.

        Alors qu'Archélaos s'apprêtait à la capturer, un hoplite s'interposa dans son champ de vision. Archélaos joua de l'épée avec le soldat éméché et en trois coups techniques et imparables, eut raison de lui.

        Ce laps de temps laissa le champ libre à Gorgo qui parvint à choper la jeune fille – une brunette maigrichonne aux yeux d'un vert turquoise qui n'était pas du tout à son goût. Pire, elle empestait un mélange de fragrances âcres qui lui piquaient les narines. Il cracha au sol de dégoût. Cette odeur déplaisante ne stopperait cependant en rien ses ardeurs. De ses doigts à la poigne d'acier, il encerclait le biceps de la gamine et l'empêchait ainsi de s'échapper ; de l'autre main, il retirait avec empressement une partie de ses braies [1].

        Tout à coup, au moment où Gorgo s'apprêtait à copuler avec une ferveur volcanique en se râpant la panse sur celle de la jouvencelle, une sorte de crabe des mers s'agriffa dans son dos. Il se tordit le cou dans un sens puis dans l'autre, fit des moulinets aériens avec les bras et quelques sauts acrobatiques de côté pour déloger l'intrus avant de se mettre à tourner sur lui-même dans une sorte de ballet grotesque.

        L'importun se nommait Colotès. Bien décidé à sauver sa fille aînée des mains crasseuses de cet immonde pourceau et ce, par n'importe quel moyen, le pater familias s'était décidé à agir. Face à l'urgence de la situation, et dépourvu de toute arme, il avait pris son courage à bras le corps et avait foncé, sans réfléchir, droit sur la bête tatouée. A présent, il enserrait la bête entre ses quatre membres squelettiques.

SIRÈNES - LIVRE I - LES BARONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant