3. SUR LE PONT DE LA BIRÈME

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        Slask émit un grognement rauque terrifiant suivi de plusieurs syllabes dans son dialecte slave que ses congénères interprétèrent comme un avertissement s'ils osaient lui barrer le passage. Les Barons s'écartèrent donc pour laisser passer le colosse haut de sept pieds[1]. Celui-ci avança d'un pas lourd jusqu'à la proue du navire, saisit des deux mains le mât incliné et dans un mouvement de balancier, projeta sa masse sur le pont de la birème. Il tomba sur les genoux, poings au sol. Avec une grande lenteur – comme au ralenti – il se redressa et déploya son corps musculeux.

        Gorgo et Archélaos rejoignirent le molosse et se postèrent à ses côtés. Le premier faisait craquer une par une les phalanges de ses doigts alors que le soleil étincelait dans l'épée recourbée du second. Slask continuait à déclamer une sorte de sermon dont les sonorités gutturales vibraient comme un arrêt de mort. Tous trois contemplaient les naufragés avec dédain et supériorité.

        Face à ce trio insolite de barbares– un géant, un tatoué et la matérialisation d'Apollon – la peur tétanisa l'ensemble de l'équipage sur le pont.

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     Les huit matelots attelés aux manœuvres demeuraient figés, leurs doigts cramponnés à ce qu'ils pouvaient agripper de solide, qui au gouvernail, qui à la voile, qui au mât, comme pour les rassurer, sentir la vie couler en eux, le sang battre dans leurs tempes. Le maître d'équipage jetait un regard désespéré à l'officier en second dont les yeux inquiets adressaient un signal d'alerte mêlé de terreur en direction du magister ; ce dernier suppliait à son tour du regard les épibates pour qu'ils garantissent leur protection.

     Les épibates, soldats d'élite formés pour les combats au corps à corps à l'abordage, se composaient habituellement de sept hoplites. Des combattants surentraînés qui en imposaient par leurs cuirasses en bronze, leurs casques corinthiens dotés d'un nasal, leurs couvre-joues fixes, leurs couvre-nuques, leurs cnémides en feuilles de bronze, mais aussi et surtout par leurs lourds armements constitués d'une lance, d'une épée courte et d'un bouclier.

        Or, en ce jour particulier, ils avaient revêtu leurs parures de luxe pour célébrer un succès quelconque ou une victoire anodine. Une parure composée d'une tunique à manche ornée de gemmes avec des colliers d'or et d'une robe pourpre brochée également d'or. Boucliers et lances semblaient avoir été entreposés – et oubliés ! – dans un recoin enfoui du navire.

        Au vu de la menace, ils saisirent leurs épées, prêts à livrer bataille. Pourtant un œil averti aurait pu déceler de légères défaillances dans la stabilité de chacun des fantassins : l'épée leur pesait, le port était hésitant, le poignet fébrile, le bras vacillant, les jambes tremblantes, la garde maladroite. On ne répétera jamais assez que l'abus de vin d'Hellade entraîne un état d'euphorie prononcé et induit une diminution certaine de la vigilance.

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        Fait exceptionnel, l'équipage comptait à son bord six voyageurs qui rejoignaient Syracuse en Sicile. Phidias, un très vieux et fortuné fermier qui avait atteint l'âge honorable de 47 ans sans aucune maladie grave – il voyageait seul ; ainsi qu'une famille avec trois enfants dont Aspasie, une jolie brunette d'âge nubile.

        Colotès, le pater familias, se tenait droit, les bras en croix, empli d'un courage indomptable. Il faisait barrage du mieux qu'il le pouvait de son corps aussi maigrelet qu'un clou en fer. Il protégeait son épouse Rhodopis – dont la circonférence représentait cinq à six fois le gabarit de son mari. Celle-ci serrait très fort contre ses hanches dodues leurs deux jeunes fils.Or les garçons se rendaient à peine compte de la présence d'un danger éventuel ; ils gémissaient et se tortillaient dans tous les sens afin de se libérer de l'étreinte maternelle si bien que Rhodopis redoublait d'efforts pour les calmer.

SIRÈNES - LIVRE I - LES BARONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant