10. TÉMÉRITÉ OU INCONSCIENCE ?

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     Depuis le mirador vertigineux qui oscillait, Pépy occupait une place privilégiée à l'abri de toute violence ; personne n'aurait pu l'en déloger. Il se captivait pour tout ce qui se passait sur le pont de la birème et n'avait aucune intention de quitter son perchoir de surveillance pour s'approcher au plus près de la bataille. Il rejoindrait ses compagnons dès lors que la série des abattages aurait cessé. Point de risque inutile, telle était sa devise.

      Il scrutait les déboires d'Ucinius avec une moquerie non feinte. Ce dernier s'évertuait à mouvoir son tas de gras dans l'espoir de choper une gamine aux jambes graciles qui filait comme une brebis apeurée. Cet énorme tonneau de vin sur pattes aurait été bien incapable d'attraper une vache estropiée en plein milieu d'un pré... alors une jeune fille en pleine fougue de l'âge !

     Son regard alternait ensuite entre Slask, Gorgo et Archélaos.

     Les grognements de plaisir que poussaient Slask lui parvenaient jusqu'aux oreilles, portés par un courant d'air favorable. Gorgo enchaînait combats et corps à corps. Sa silhouette se distinguait aisément parmi le chaos humain : d'une part à cause de sa peau recouverte de tatouages ; d'autre part, parce qu'un périmètre de plusieurs coudées s'était déployé autour de lui à son approche tant il effrayait les marins. Il regrettait d'avoir perdu de vue le blond Archélaos... Celui-ci devait semer la mort à la pointe de l'épée dans un angle mort ou au fond des cales.

     Tout à coup, l'attention de Pépy fut focalisée sur un seul homme. Un homme auréolé de prestance et d'insouciance vêtu d'une simple tunique qui s'arrête au niveau des mollets. Un homme qui avançait parmi les groupes de combattants – dépourvu de toute arme, bras tendus vers le ciel, paumes de mains ouvertes. Il marchait d'un pas long et assuré en direction de Xytrios. Ses sandales dérapaient parfois dans les mares de sang pourpre et gluant sans pour autant stopper sa progression.

     Que voulait-il ? Qu'espérait-il ? Etait-il inconscient ?

     On aurait dit que sa bouche remuait mais Pépy ne parvenait pas à lire sur les lèvres.

     Qu'essayait-il de dire ?

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     Depuis la proue de son vaisseau, Xytrios dominait et surveillait l'ensemble des agissements de ses hommes tout en caressant les poils drus de sa barbe. Le visage impassible, il avait acquiescé à chacune des agressions perpétrées et avait approuvé d'un hochement de tête quasi imperceptible. Il avait cautionné les viols des patriciennes ; il avait acté la magistrale fracture du cou de l'encombrant père de famille ; il avait validé l'embrochage de l'hoplite ; il avait avalisé la tête tranchée d'un matelot et celle écrasée d'un autre..

     En somme, il ressentait de la fierté envers sa progéniture, en particulier à l'égard de Slask qui maitrisait avec brio son sujet et qui prenait un réel plaisir à tuer. Le capitaine avait pris sous son aile ce macaque sauvage en provenance d'une région austère de Silésie incapable de s'exprimer autrement que par des grognements et il l'avait transformé en un combattant sanguinaire hors-pair.

     Xytrios nourrissait une certaine attitude de bienveillance envers lui, une attitude que l'on aurait pu qualifier de paternaliste... Or, jamais il n'aurait avoué cette faiblesse. C'était la raison pour laquelle il le traitait de façon plus dure que le reste de l'équipage.

     Slask venait de saigner deux hoplites à mains nues. Xytrios s'en félicitait. Un premier coup de poing dans le foie avait paralysé l'adversaire qui s'était effondré à genoux aussi lourdement qu'un tas de sable. S'en était suivi un crochet du droit juste en dessous de la mâchoire. Premier hoplite à terre par K.O. Les cinq autres avaient filé.

SIRÈNES - LIVRE I - LES BARONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant