18. BONIMENTS

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     Le bercement de la houle paisible avait effacé toute trace de l'existence de la birème et de son équipage. Plus rien ne troublait le miroir maritime sur lequel les rayons de l'astre solaire continuait à se réfléchir en surface avant de se disperser. Sous l'eau, leur absorption s'atténuait d'une manière considérable à tel point que si Apollon ou Hermès avait plané, par un étrange hasard, juste au dessus des lieux de la bataille, l'un comme l'autre n'auraient observé qu'une masse noire informe engloutie, montre mort qui sombre vers des abysses insondables.

     A bord de la galère pirate, la bacchanale avait laissé place à un calme olympien : la plupart des Barons cuvaient les uns à côté des autres, voire parfois les uns sur les autres. Un état d'assoupissement qui hésitait entre une veille forcée piquée d'étranges et effrayantes hallucinations et un sommeil assumé aux rêves libidineux.

     Pépy s'était assoupi sur le gros ventre d'Ucinius qui se gonflait et se dégonflait à un rythme irrégulier.

     Téghlaqxor restait enfermé dans ses quartiers d'étude avec les quelques cadavres qu'il avait pu emporter comme trophées de guerre. Aucun Baron ne savait vraiment ce qui se tramait au fond de cette cale puant la mort et d'ailleurs aucun d'entre eux ne voulait vraiment le savoir.

     Quant à Gorgo, il somnolait assis contre une amphore. La tête sur le côté, légèrement déportée vers arrière, ses yeux étaient mi-clos ; sa bouche entrouverte laissait s'échapper une haleine sulfurée ; sa jambe droite se contractait et tressautait en une sorte de réflexe défensif contre un ennemi imaginaire.

     Xytrios, après une longue période de silence – période qu'il avait mis à profit pour intensifier sa haine à l'égard des dieux – avait enfin quitté son poste d'observation. Il se dressait face au fantassin qu'il avait capturé – du moins qu'un de ses hommes avait capturé, ce qui en soi revenait au même. Il ne se souciait guère duquel de ces empaffés tenait le gouvernail ni de son navire qui dérivait vers nulle part.

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     Le prolixe Krénios se trouvait en très mauvaise posture : une lame pointue pressait contre son cou palpitant, prête à lui trancher les carotides à la moindre incartade. Avec son air malicieux, il tentait d'embobiner le grand blondinet qui tenait le couperet et qui maitrisait mal son impatience.

     « Très Estimé Monsieur le Centurion Pirate. Neptune... ou si vous préférez Poséidon... ou Sérapis... Peu importe le nom qu'on lui octroie par delà les contrées barbares... Je veux dire les contrées sauvages et inexplorées... Et quand je dis sauvages, je ne fais aucunement référence à vous et à vos semblables, Très Estimé Monsieur le Centurion Pirate. Il s'agit là des contrées lointaines et...

     Archélaos enfonça la lame de son kopis plus profond dans le gras du cou.

     « Bref, vous m'aurez compris, je veux bien sûr parler du dieu des mers. Vous voyez de qui je veux parler ?... N'est-ce pas !... Vous voyez ?!... Comme vous ne répondez pas Très Estimé Monsieur le Centurion Pirate, et qu'on ne va pas passer des lunes sur le sujet, je devine que vous voyez parfaitement bien de qui je veux parler. Appelons le Poséidon pour plus de clarté.

     - Abrège chien!, ou je te taillade la gueule.

     « Euh... Eh bien... Poséidon... Le Roi des Eaux, des Mers et des Océans et moi-même, votre humble et modeste serviteur... sommes... Comment vous dire cela sans vous interloquer Très Estimé Monsieur le Centurion Pirate ?... Sans vous laisser coi de...

     - Quoi ?

     - Sans vous laisser coi...

     - Quoi ?!

SIRÈNES - LIVRE I - LES BARONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant