11. SADISME & DÉCADENCE

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     Archélaos se tenait les côtes, plié en deux par un rire inextinguible. Face à lui, un gringalet étalé de tout son long dans une gigantesque flaque d'un brun-rougeâtre sirupeux gesticulait dans tous les sens. A chaque fois que le pauvre homme s'empressait de se mettre debout, il dérapait à nouveau et valdinguait avec brutalité contre le plancher.

     D'une extrême maladresse, Zed-Khons-Uef-Ankh se démenait pour détaler de l'endroit. Tout ce sang lui avait provoqué des haut-le-cœur qu'il n'avait pas pu résorber si bien qu'il avait dégobillé tout ce qu'il avait absorbé. Pire, une fois son estomac vide, il avait continué à cracher des flots et des flots de bile maronnasses. Ce mélange poisseux de sang et de vomi, enduisait toute la surface de sa peau, adhérait à ses cheveux crépus et collait même aux poils de sa barbe ce qui le répugnait et l'affolait d'autant plus. Et plus il s'affolait, moins il maîtrisait son équilibre et plus il glissait.

     Archélaos se délectait de ce spectacle à la limite du grotesque. Il jubilait de l'humiliation que le bonhomme s'infligeait à lui-même.

     Après moult cabrioles et un miracle inespéré, Zed réussit à se positionner à quatre pattes. Il entreprit alors une périlleuse tentative : se mettre debout. Il souleva son arrière-train, décolla ses genoux du sol, se mit sur la pointe des pieds et se retrouva dans une position improbable et très inconfortable. Il étudia les différentes possibilités qui s'offraient à lui et dans l'urgence, retint l'idée la plus pragmatique : se catapulter en arrière par la force de ses mains afin de se redresser d'un coup sec. Il opéra une première impulsion au niveau du bassin. Insuffisante. Il ne bougea pas d'un iota. Il réitéra le mouvement avec plus de vigueur. Trop de vigueur : ses pieds patinèrent, il s'écrasa contre le plancher.

     Archélaos applaudit. Il n'avait pas ri autant depuis... depuis...? Depuis tellement longtemps qu'il ne s'en souvenait même plus.

     Un peu sonné, Zed ne se démotiva pas ; il devait déguerpir de là au plus vite. Mu par une énergie qu'il ne se connaissait pas, il recouvra ses esprits et roula sur le côté, vomit encore quelques biles et se remit à quatre pattes. Ce coup-ci, il leva d'abord le tronc et demeura agenouillé. Il bascula avec une lenteur infinie sur le côté, prit appui alors sur sa main droite et ramena un premier genou vers l'avant. Petit à petit, il parvint à se mettre debout.

     Archélaos avait cessé de rire. D'un geste vif, il saisit son épée qu'il avait plantée dans le bois du plancher et lui coupa chacun des tendons au dessus du talon.

     Zed perçut un bruit de déchirement des tissus suivi d'une vive douleur qui irradia ses mollets puis ses cuisses. Lui qui venait à peine de se redresser, s'effondra sur le ventre dans un cri aigu de cochon qu'on égorge et se cogna le crâne dans un bruit sourd.

     « Relève-toi si tu le peux, fils de bœuf, ironisa Archélaos. »

     Zed continuait d'hurler ; le sang jaillissait des plaies ouvertes.

     Archélaos éclata d'un rire cristallin qui laissa entrevoir sa dentition parfaite – un exploit pour l'époque.

     Les jambes paralysées, Zed commença à ramper sur les coudes. Il avança à peine de quelques pouces tant la douleur vrillait jusqu'au plus profond de ses viscères. Ses yeux s'étaient révulsés, sa bouche figée en un rictus épouvantable d'où s'écoulait une mixture pâteuse écœurante. Il n'émettait plus que de longs glapissements plaintifs. Dans un geste ultime, il tendit un bras dans l'espoir qu'une âme charitable lui vînt en aide.

     Archélaos n'excellait guère dans l'art de la patience. Il souhaitait plus que tout que le spectacle continuât, que cette marionnette le divertît encore. De la pointe de son épée, il pratiqua une première scarification sur l'omoplate de l'estropié. Pris par une ferveur qui exaltait ses pulsions primitives, Archélaos incisa et descendit en ligne sinueuse le long de l'échine du martyr. Son épée découpait les chairs avec une extrême facilité comme s'il tranchait dans une motte de beurre. Il poursuivit sa gravure jusqu'en bas du dos où il effectua plusieurs entailles profondes au niveau des muscles fessiers.

SIRÈNES - LIVRE I - LES BARONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant