La birème se réduisait à une épave que la gueule de la mer Tyrrhénienne engloutissait avec voracité ; la plane immensité s'en délectait avec une lenteur extrême.
La galère des Barons voguait au seul gré du vent largue grâce à son unique et grande voile ; voile qu'avait déployée Pépy en un temps record afin de s'éloigner au plus vite de la birème en feu.
La galère errait sur les flots à vive allure sans but précis. Elle avançait vers un horizon inconnu – un horizon qui mènerait les Barons vers de nouveaux pillages plus glorieux et surtout plus "rentables" ; un horizon qui verrait les rêves de richesse de chaque barbare s'accomplir ; un horizon qui permettrait à Xytrios de terminer sa carrière sur un assaut remarquable qui deviendrait un exploit retentissant par delà les mers et océans.
Sur le pont supérieur, les flammes jaillissaient en une muraille incandescente. Elles dévoraient les membrures, rongeaient les cordages tout comme les métaux. Les flammes s'enroulaient autour du mât et le consumaient. Elles s'élevaient dans une épaisse fumée noire ; elles tourbillonnaient, fières et ardentes, dans le ciel d'un bleu d'azur. Elles tentaient de se propager et de descendre jusque dans les cales. En vain. La houle refoulait sans cesse leur progression et les obligeait à limiter leur insatiable appétit.
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Les traits tendus, Xytrios, le capitaine des Barons, demeurait immobile. Une main pendait le long de son corps, l'autre serrait la rambarde si fort que chacune de ses phalanges blanchissait. Il observait le navire qui disparaissait petit à petit sous les flots. Le brasier semblait se refléter dans ses pupilles – ou était-ce des éclairs de colère qui illuminaient son regard noir ?
La rage qui le consumait de l'intérieur n'était guère retombée. Sous cette impassibilité feinte mais maîtrisée se livrait un combat entre haine et déception. Le Capitaine damna à tout jamais cette maudite birème, les maudits condiments qui remplissaient les maudites soutes et tous ses maudits occupants et, dans la foulée, il honnit aussi tous les maudits peuples de l'Orient et de l'Occident ainsi que tous ces maudits dieux de l'Olympe – tous sans la moindre exception. Toutes ces prétendues divinités les avaient conduits jusqu'à ce guêpier.
Au fur et à mesure que le bateau des pirates s'éloignait, Xytrios dut admettre son cuisant échec. Se retirer sur pareil désastre signerait la raillerie d'une réputation qu'il avait eu tant de mal à construire ; il se devait de parachever sa carrière sur un ultime coup d'éclat qui secouerait les populaces par delà les mers et les océans et dont on raconterait l'incroyable exploit des siècles durant.
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Archélaos, son second, chantait à tue-tête des bribes de souvenirs du péan de Dionysos[1] tout en mélangeant le vin contenu dans une amphore à l'aide de son épée :
[1] Hymne homérique à Dionysos traduit par Leconte de Lisle (1868)
« Ô Dionysos riche en raisins !... Couronné de lierre et de laurier... Glorieux fils de Zeus... Que nourrissent les Nymphes aux beaux cheveux...
Il retira la lame et la lécha goulûment sur toute sa longueur avant de reprendre sa ritournelle.
« Ô Dionysos riche en raisins !... Est au nombre des Immortels... Je te salue ainsi, ô Dionysos riche en raisins ! »
Ni le capitaine ni son bras-droit ne se préoccupait de qui pouvait tenir le gouvernail.
D'ailleurs à ce propos, personne n'occupait le poste.
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SIRÈNES - LIVRE I - LES BARONS
AventuraAntiquité - Ve siècle avant J-C. Les Barons sont des pirates redoutés qui sèment la terreur le long des côtes de la mer Tyrrhénienne. A leur tête, le terrible capitaine Xytrios, dit le Minotaure, secondé par Archélaos, un blondinet au visage angéliq...