✧ Trente-et-un ✧

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Ann souhaita se reposer peu de temps après avoir revu Meredith, encore affaiblie par son voyage. Les chemins qui conduisaient à Camelot étaient tortueux et difficilement praticables, aussi avait-elle probablement dû descendre de cheval plus d'une fois – elle avait par ailleurs eu de la chance d'avoir eu une monture à disposition.

Meredith la reconduisit avec Gawain et Arthur jusqu'à la chambre que lui avait prêtée le Cercle, l'une des nombreuses qui n'étaient pas occupées. En effet, le château disposait de plusieurs salles qui restaient inutilisées, par manque d'intérêt. Il arrivait cependant qu'elles soient dépoussiérées, notamment pour éviter que les rats ne s'y installent. Elles faisaient l'objet de deux grands nettoyages annuels pour lesquels tous les guerriers se mobilisaient.

La chambre qui avait été attribuée à la vieille gouvernante jouxtait celle dans laquelle Galahad avait dormi durant son rétablissement – Tristan avait préféré le placer hors de sa chambre habituelle pour éviter de salir, voire infecter ses draps. Meredith entra avec Ann, s'assurant qu'elle ne manquait de rien. Arthur patienta dans le couloir, lui octroyant quelques minutes pour parler seule à seule avec Ann : les deux femmes étaient bouleversées et avaient besoin de se retrouver. Il ne put s'empêcher de se demander comment il aurait réagi s'il avait retrouvé son père devant lui, père qu'il savait pourtant bien mort – la fièvre l'avait emporté alors qu'Arthur avait douze ans, et sa mère plus tôt encore.

Lorsque la banshee ressortit un peu plus tard, Arthur remarqua au premier coup d'œil ses yeux embués et rougis par les pleurs. Sans dire un mot, Meredith ferma doucement la porte. Chaque pouce douloureusement avalé emprisonnait un peu plus Ann dans une chambre solitaire. Arthur devinait combien il en coûtait à Meredith de la laisser seule, sans aide. Ses jambes flageolaient comme des pousses de blés que le vent balayerait. Il s'approcha d'elle pour la soutenir par les épaules, juste à temps : Meredith s'agrippa à son épaule de tout son poids, effondrée – tant physiquement que psychologiquement. Sa pâleur l'inquiéta.

— Ça ne va pas ?

Elle secoua la tête et déglutit, sans articuler le moindre son. Arthur finit par comprendre qu'il s'agissait d'un choc tardif. Meredith recouvra vite ses esprits et s'écarta, encore blême, mais ragaillardie.

— Tu es sûre que ça va ? insista-t-il.

Elle souffla doucement et ferma un bref instant les yeux.

— Oui, ça va. Je n'avais plus vu Ann depuis vingt ans, répondit-elle d'une voix blanche. Pour moi, elle était morte le jour même où nous avons été séparées. C'était il y a tellement longtemps, et tu l'as vu comme moi, elle est épuisée. Elle l'est trop. Je ne sais pas combien de temps il lui reste, Arthur...

— Et te poser la question ne t'apportera pas de réponse, répondit-il. Tu te fais du mal, c'est tout.

— Je ne me fais pas du mal, je me fais peur.

En effet, Arthur pouvait en attester. Cependant, peur et douleur étaient souvent des cousines proches.

— C'est du pareil au même. Qui était Ann pour toi ? Un membre de ta famille ?

Elle posa les yeux sur lui et un voile nostalgique vint ternir le marron de ses iris.

— Elle était ma nourrice, notre gouvernante. Ma seconde maman, en quelque sorte. Elle s'occupait de nous au domaine de mon père.

Elle tira sur une mèche de ses cheveux, angoissée.

— Je ne t'ai pas parlé de ma famille. J'aurais dû le faire plus tôt.

Arthur était conscient qu'il aurait été fort hypocrite de sa part de l'accuser d'une telle faute.

— Cesse de t'inquiéter. Si j'avais voulu savoir quoi que ce soit, j'aurais posé la question.

Le Cercle de la Table Ronde : Le serment de KeyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant