XIX. « cours ins't'rumental »

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Trois jours plus tard

13h14

Après avoir mangé un sandwich dehors, je retournai au magasin. J'écrivis un rapide message à Charles pour lui donner de mes nouvelles. Il m'avait fait promettre de le faire toutes les heures, pour s'assurer que je serais disponible s'il avait besoin d'aide. J'avais très bien senti son ton menaçant masqué par son visage souriant. Il avait au moins fini par accepter que je sorte pour travailler.

De : Charles
À : Soluna

« N'oublie pas de m'acheter mes tickets de loto ;) je t'aime »

Je soupirai en retirant mon manteau. Mais à peine avais-je posé mes clés sur le comptoir qu'une cliente entrait déjà dans la boutique. La cloche résonna à son entrée, et un sourire habituel prit place sur mon visage.

- Bonjour, vous venez récupérer le violoncelle de votre garçon c'est ça ?
- Exact, mademoiselle Mendoza !

Je le lui amenai, elle paya la facture et me remercia avant de partir. Deux autres clients vinrent récupérer leur instrument avant que l'endroit ne soit désert pendant deux bonnes heures. J'en profitai pour apporter les dernières retouches à mon violon. Je triais les vernis quand la cloche de la porte s'agita une nouvelle fois. Me frottant les yeux, je me préparais à cacher ma fatigue et à montrer un sourire poli lorsque c'est un visage que je connaissais bien qui se trouva à la porte.

- Salut, Soluna.
- Bonjour Florian...

Je rougis légèrement en me souvenant de la dernière fois où j'ai couché avec Charles, avant de chasser cette pensée de ma tête. Il s'approcha et je le pris dans mes bras. Sentir son cœur battre sous les couches de vêtements qu'il portait me procurait une telle satisfaction que j'aurais aimé ne plus bouger pour l'éternité. Malheureusement il se détacha de moi et sembla m'observer avec attention.

- Pourquoi ces cernes ?

Je détournai le regard, il posa ses mains sur mes joues.

- C'est Charles ?
- Arrête, dis-je en retirant ses mains.
- Qu'est-ce que j'ai fait ?
- Ne parle pas de lui, répondis-je directement.

Mon regard croisa le sien, il fronça les sourcils. La cloche retentit et une femme passa la porte. Sauvée par cette intervention qui retardait sans doute une question, j'en profitai pour prendre des nouvelles de cette connaissance de mon presque-papa et moi. Elle était chef d'un orchestre plutôt réputé de la ville.

- Bien le bonjour, Soluna. Mais où est Amadeo ?
- Oh. Il est..

Je baissai les yeux et sentis Florian poser une main sur mon épaule.

- Il est mort récemment. Soluna dirige le magasin désormais, répondit-il.

Je le remerciais du regard tandis que la femme, Mme Guillon, me présentait ses condoléances. Après quelques minutes d'éloges à Amadeo, elle posa une sacoche en cuir sur le comptoir.

- J'aimerais vous proposer quelque chose.
- Je vous écoute, répondis-je en essayant de paraître interessée.
- Une des violonistes de mon orchestre est enceinte. Ayant une grossesse quelques peu difficile, elle n'est plus dans la capacité d'assister aux répétitions et au concert à venir à la Philharmonie. Je vous propose donc de prendre sa place de premier violon au sein de l'orchestre que je dirige. Oh, et vous serez payée pour les représentations.

Mes yeux s'agrandirent et je souris immédiatement.

- Avez-vous les partitions ?
- Bien sûr. Le programme se compose des Quatre Saisons de Vivaldi.

Des étoiles me remplirent les yeux. Les Quatre Saisons, jouées en orchestre... Je tournai la tête vers Florian et je vis qu'un grand sourire éclairait son visage. Mme Guillon me laissa les partitions avec son air morne habituel avant de partir.
Florian se dirigea alors vers la table où se trouvait mon violon, enfin terminé, et il l'observa en se baissant à sa hauteur.

- C'est merveilleux, bravo.

En m'approchant de lui, je choisis un violon parmi ceux à vendre, et un archet. Je les lui tendis avec un sourire malicieux.

- Voyons voir comment tu te débrouilles.
- Je ne sais pas comment en jouer, c'est toi la pro.

Il rit et se redressa.

- Laisse-moi au moins t'apprendre comment te placer.

Je posai le violon sur son épaule gauche, au creux de son cou.

- Ta tête doit rester droite mais être appuyée sur la mentonnière, de sorte à pouvoir garder ton violon en place même sans le toucher avec les mains.
- T'es sûre de vouloir faire ça ?

Son manque d'assurance avait quelque chose de mignon. Il refusait de lâcher l'instrument de sa main, je la lui pris alors pour l'éloigner. À sa surprise, le violon resta en place.

- Tu vois, murmurai-je.

Nous nous regardâmes pendant quelques secondes avant que je ne continue la leçon.

- Pose ta main gauche, le pouce sous le manche, poursuivis-je.

Je lui expliquai ensuite comment tenir l'archet, puis je l'aidai à jouer quelques notes en cordes à vides, sans poser les doigts sur le violon. Ma main était sur la sienne qui tenait l'archet, il fit glisser lentement l'archer sur la corde ré. Mais comme pour tout le monde, le son qui sortit de l'instrument grinça horriblement. Nous échangeâmes un regard avant de rire tous les deux.

- Merci, dis-il en souriant.
- Pour ?
- Pour ce moment, répondis-je en souriant.

Il se pencha vers moi en retirant le violon de son épaule et déposa un baiser sur ma joue. Je sentis mes joues chauffer tandis que son regard était sur moi.

- Soluna... Tu, hum..

Mes yeux revinrent sur lui, il se frotta la nuque après avoir posé le violon sur la table.

- Oui ?

Un léger sourire naquit sur mon visage, j'attendais la fin de sa réponse.

- Rien.
- Oh...

Légèrement déçue sans même savoir pourquoi, je me penchai pour prendre le violon quand il posa une main sur mon bras. Par réflexe, je reculai.

- Pardon, dit-il avec un air surpris.

Il leva les mains avant de continuer.

- Je ne voulais pas t'effrayer.
- Non, ce n'est rien, un... un mauvais souvenir.

En m'éloignant pour aller déposer le violon à sa place, je fermai les yeux et je vis Charles.

« Espèce de connasse ! T'es qu'une salope ! »

Mon coeur se contracta, je sentis l'archet tomber à mes pieds. Garder l'équilibre fut plus difficile, je dûs me tenir à un mur.

« Il est amoureux de toi et je ne veux pas que ce soit réciproque ! »

- Arrête..., gémis-je.

« Le code. »

« Le code. »

« LE CODE ! »

- Arrête !, criai-je.

Puis j'entendis le verre se briser au sol. Je posai le violon et plaquai mes mains sur mes oreilles. Des larmes s'échappèrent de mes yeux.
Deux mains se posèrent sur mes épaules et Florian me fit pivoter vers lui. Il me prit dans ses bras et murmura qu'il était là, en essayant de calmer mes sanglots. Ma main agrippa son t-shirt, j'eus du mal à me calmer. Puis je me concentrai sur ma respiration, et ses battements de cœur. En relevant la tête, j'observai son visage. Ses joues creusées, son air inquiet et ses pupilles dilatées me fixaient. À cet instant je sentis mon coeur s'accélérer.

La cloche résonna et je me détachai de Florian pour accueillir le ou la nouvelle cliente.
Mais mes yeux s'agrandirent lorsque je vis de qui il s'agissait.

Charles.

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