XXIII. « 'o'euf »

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Je chargeai ma valise dans le coffre de la voiture d'Erina avant de me tourner vers Charles.

- La voiture est chargée !, dis-je en riant.

Je n'obtint qu'un haussement d'épaules de sa part pour réponse. Je m'approchai ensuite de lui et après une légère hésitation, je le pris dans mes bras.

- Tu vas me manquer, murmurai-je.
- Merci. Reviens dimanche avant minuit, surtout. Je n'aime pas te savoir loin de moi...

Je me détachai de lui et mon regard croisa celui de ma meilleure amie en me tournant. Elle arqua un sourcil avant de monter en voiture, à la place du conducteur. Je la suivis après avoir embrassé Charles sur la joue.

- À nous les verres de jus d'orange et le bronzage !, dit-elle avec enthousiasme.
- Eri, on est en octobre...
- Peu importe. Il faut qu'on se détende !

Et elle lança sa playlist des années 80 en augmentant le volume. Je souris malgré moi et commençai à chanter avec elle.
Le trajet se déroula sans aucune encombre. Les parents de Erina avaient acheté une maison dans la campagne de la Bretagne, là où on ne capte aucune barre de réseau. Ça n'allait pas vraiment m'affecter, puisque je m'aperçus assez vite que j'avais oublié mon téléphone chez moi.
Eri s'arrêta deux fois pour prendre un café et dévaliser une station service de ses paquets de bonbons. Puis elle engagea la voiture dans un chemin de terre et après que j'ai ouvert le portail, elle gara le véhicule face à la maison.

Il était quinze heures quand madame décida de cuisiner un gâteau, et donc de nous lever du canapé. Nous avions fait les courses le midi, alors il était certain que nous possédions tous les ingrédients. Donc, pas de quoi se défiler. On sortit tout ce qu'il fallait sur le plan de travail, puis on commença la préparation d'un gâteau nature. Je quittai vite la réalité et pensai à Florian, à la nuit dans Paris qu'on avait passé ensemble.

- ... œuf s'il te plaît.

Mais Eri me sortit de mes pensées en m'assénant un coup de coude assez fort dans les côtes.

- Aïe !
- Un œuf ! Tu penses à quoi pour être ailleurs comme ça ?

Face à mon silence, elle sourit malicieusement avant de se reprendre.

- Ok, à qui ?

Je me contentai de lui donner le produit demandé, et son prénom.

- Florian.
- Oh ! Pourquoi lui ?, dit-elle de sa voix mielleuse.

Je marmonnai que ce n'était pas ses affaires, chose qu'elle ne parut pas entendre.

- Je veux savoir !

Elle cassa l'œuf sur le rebord du saladier avant de jeter les morceaux de la coquille dans l'évier.

- J'en sais rien, je pense que je l'aime, dis-je avec détachement.

Je pris un paquet de farine et un verre doseur, puis je versai le produit dans le récipient en prenant bien soin de m'arrêter à la mesure voulue. N'entendant pas de réponse de la part de ma meilleure amie, je jetai un regard dans sa direction et je la vis me fixant, les yeux écarquillés et la bouche entrouverte.

- Un.. un problème ?
- T'es amoureuse de Florian ? Le Florian que j'ai vu le jour de l'enterrement ?

Mon coeur se serra à l'entente de ce mot. Je hochai la tête en changeant de sujet.

- Tiens, verse la farine au lieu de me cuisiner. Sans mauvais jeu de mot, rajoutai-je.
- Explique-moi ! Je veux savoir s'il y a eu rapprochement, quand est-ce que tu as commencé à avoir des sentiments et...
- Doucement, si je dois vraiment y passer, une question à la fois s'il te plaît.

Elle sourit en me regardant, avant de prendre une cuillère à soupe et de verser du lait dedans.

- Quand. Quand est-ce que dans ton cerveau il est passé de simple ami à... quelque chose au-dessus ?
- J'en sais rien.. dis-je en commençant à remuer le contenu du bol. Il a été là pour moi à un moment difficile, on ne se connaît pas depuis très longtemps pourtant je.. je sais pas.
- Et est-ce qu'il s'est passé quelque chose entre vous ?

Repenser à la nuit à Paris, au moment où j'ai tenté de lui apprendre à se placer pour jouer du violon et au morceau de piano qu'il a composé, me fit sourire.

- On s'est tenu la main.
- C'est tout ?, cria-t-elle presque.

Je me crispai, surprise, avant de reprendre le mélange des aliments.

- C'est déjà bien assez pour me faire culpabiliser vis-à-vis de Charles. Je te rappelle que lui et moi on est toujours ensemble.
- Je l'aime pas, ce type. Depuis que tu es avec lui tu perds du poids, et tes cernes sont devenues immenses.
- Tu oublies que j'ai perdu un proche aussi.

Elle ne répondît pas et le silence s'installa entre nous, comme une troisième personne dans cette cuisine.

- Je ne peux pas abandonner Charles. Il est gravement malade et a peu de chances de s'en sortir. Le quitter le détruirai... Il suit un traitement, et j'essaie de prendre soin de lui.

Elle versa de l'huile avant de se baisser pour sortir les plats du four. Elle régla la température puis posa un moule rond à côté du saladier dont je m'occupais.

- Tu devrais dire à ce pauvre Florian de ne pas se faire d'idée alors. Je suis désolée pour Charles. Enfin...
- Merci. Je le lui dirai, dis-je pour mettre un terme à cette discussion.
- J'ai une dernière question.

Je m'immobilisai pour la regarder en haussant les sourcils.

- Est-ce que tu aimes Charles ?

Je m'y attendais.

- Évidemment, mais ce n'est plus pareil qu'avant. C'est comme si notre relation avait changée, comme si lui avait changé...

Après avoir beurré et fariné le moule, je versai la pâte dedans. On enfourna, puis on se rendit au salon pour regarder un vieux film d'action.
Je n'y prêtais pas une once d'attention, trop occupée à penser à la même personne. Je m'imaginais dans ses bras, rire avec lui. Mais les images que mon cerveau créait pour me distraire avaient quelque chose de triste. Comme si je n'allais jamais plus le revoir, lui.

Le soir, Erina cuisina des pommes de terres et de la viande pendant que je mettais la table.

- Je ne t'ai pas raconté ce que ma nouvelle colocataire a fait !
- Alexandra ?, dis-je en plantant ma fourchette dans un morceau de patate fumant.
- Oui. Elle a refusé de m'ouvrir la porte, pour rire ! Alors ma voisine, qui ne me connaissait pas, a appelé la police parce qu'elle pensait que j'étais une sans-abris. Du grand n'importe quoi !

Cette anecdote me provoqua un éclat de rire et le morceau de patate sur lequel je soufflais tomba de ma fourchette. Nous le regardâmes en silence pendant quelques secondes avant de rire toutes les deux.

- J'en ai une autre : quand elle est arrivée, je lui ai proposé de mettre plusieurs objets à elle dans le salon, pour qu'elle se sente à l'aise. Elle a pose un cadre hideux fait par sa grand-mère sur le buffet !
- C'est pas vrai.. tu lui as dit qu'il serait mieux dans sa chambre ?
- Dans les toilettes, ouais...

Et nous passâmes la soirée ainsi, à rire comme à l'époque de notre enfance.

NotesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant