Chapitre six

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Pandore

C'est avec tristesse que je regarde le corps inerte face à moi.  Malheureusement, je ne peux pas rester à ses côtés, il est de mon devoir d'avancer et continuer de sauver les miens.

Chaque homme qui tombe au sol, mort, fait saigner mon cœur un peu plus. Il s'agit de mon peuple, des miens, qui périssent dans une guerre qu'ils n'ont jamais désiré mener.

Pourtant, nous ne pouvons pas faire demi-tour. Pas alors que nos terres se font piétinées, volées, brûlées. La poussière me brûle les poumons tandis que mes mains tremblent sous la douleur. De multiples brûlures lézardent ma peau, mais je ne peux pas arrêter. Ils ont besoin de moi, je suis l'une des dernières guérisseuse encore debout.

Les combats battent le plein autour, et soudainement, entre les chocs de métal, les hurlements, et les nuages de poussière, je le vois. Pendant une fraction de seconde, son regard s'attarde sur moi, et un sourire étire ses lèvres. Je ne peux pas le lui retourner, bien trop épuisée.

Un long cri s'échappe de ses lèvres, bientôt des centaines de voix font échos à la sienne. Je l'imagine sans doute sous le coup de la fatigue, mais il me semble que le champ de bataille reprend en force tandis que les miens se relèvent, prêt à continuer. Ainsi, je ne peux pas m'arrêter. Il faut que j'avance.

Arès compte sur moi. Sur nous tous.


Lorsque mon réveil sonne, je me contente de le faire taire d'un coup sec. Il ne me sert à rien, je suis debout depuis au moins deux heures, suite à mon rêve étrange. Mon esprit bouillonne, je ne cesse de penser à mon patient de la veille.

J'ai refusé de rentrer chez moi, malgré l'insistance de mon supérieur. Je souhaitais rester à son chevet, mais ai accepté de faire une sieste dans l'une des salles de repos de l'hôpital.

Un million de questions tournent en boucle dans mon esprit. La veille, sous l'effet de l'adrénaline, je ne m'étais pas inquiétée. Mais, maintenant ? Qui est-il ? Comment s'est-il blessé ? Quelle modification génétique a-t-il bien pu faire pour obtenir une telle couleur des yeux ?

Et surtout, pourquoi est-ce que cela m'intrigue tant ?

Marc gémit faiblement derrière moi, visiblement éveillé par mon agitation. Je me contente de lui dire de rester couché, avant de me lever discrètement afin de m'habiller. J'en profite pour étirer mes muscles engourdis, mes cuisses ainsi que mes pieds me hurlent de me reposer. La nuit et les opérations à répétition ont été éprouvantes sur mon corps. Cependant, je ne peux pas rester sans rien faire.

Un coup d'œil sur ma montre m'apprend qu'il est cinq heures du matin. Je pousse un grognement frustré, incapable de calmer mon esprit. J'ouvre la porte de la salle de garde, laissant Marc derrière moi. Il va s'en remettre.

D'un pas assuré, bien que toujours douloureux, j'avance dans les couloirs encore peu animés de l'hôpital. L'immense fourmilière qu'est ce dernier ne dort jamais réellement, mais certaines heures comme celles-ci ont tendance à être plus calmes. Je salue une des infirmières de mon service, avant de récupérer le dossier de mon patient mystère.

De toute évidence, il a survécu à la nuit. Ce qui ne représente pas un petit exploit, au vu de tout le sang qu'il a perdu.

La prochaine étape est de l'identifier afin que je puisse contacter sa famille. Malheureusement, nous n'avions rien à son sujet. Pas un nom, pas un contact, pas une carte récupérée dans ses affaires. En somme, un John Doe parfait. Mais, ce n'est pas le pire.

En réalité, il se trouvait bel et bien dans nos dossiers. Mort. Mort, depuis près de dix ans.

Cela ne me choque pas tant. Dans notre ville, il est courant que les mafieux maquillent leurs morts afin de prendre la fuite. Cependant, ils quittent généralement la ville tout de suite après les faits. D'autant plus que l'homme que j'ai opéré hier n'a pas pris une seule ride et ressemble encore à la perfection à des photos qui datent de presque dix ans.

Puis, il y a son regard. Fascinant, dominant, dangereux, les adjectifs ne me manquent pas pour le décrire.

Le pire dans ce mystère est sans doute que je n'obtiendrai jamais de réponses. Nous faisons notre possible afin de le garder en vie, mais je ne misais pas sur sa survie.

C'est en ayant ses pensées que je monte deux par deux les marches de l'escalier qui mène au service de soin intensif. En tant que chef de traumatologie, il s'agit de l'endroit où se trouvent la majorité de ses patients.

J'ai une dizaine d'entre eux à aller examiner pourtant, lorsque je pénètre les portes coupe-feu, je me dirige sans hésitations vers John Doe. Comme attirée par un aimant.

Un frisson parcourt mon échine. Cet étage est intimidant, même pour moi qui y monte souvent. De nuit, les lumières sont réduites afin de permettre aux patients de se reposer. De plus, étant donné que tous les visiteurs sont partis depuis des heures, le silence est presque complet. Seul résonne le bruit des machines et le souffle lourd des respirateurs.

En bref, très rassurant.

J'entre dans la chambre d'un pas fébrile. Tout semble suspendu, ici. Les rideux fermés laissent tout juste entrer la lumière de la lune, illuminant la pièce d'une couleur presque surnaturelle.

L'homme se trouve là. Allongé sur un lit, immonile. Contrairement à beaucoup de mes patients, il ne semble pas avalé par les machines. Il est, certes, entouré de fils en tout genre, mais irradie toujours cette aura de pouvoir. Je fronce les sourcils à cette pensée, qu'est-ce qu'il m'arrive ?

Je sais que je devrais sans doute partir, mais je n'y parviens pas. Ses traits me semblent si... Familiers. Je dépose silencieusement le dossier que je tenais sur sa table d'appoint, avant de m'asseoir à côté de son lit. Du regard, et surtout par habitude, je vérifie les chiffres inscrits sur les machines. Il est stable.

Avec un peu de chance, nous pourrons l'opérer à nouveau aujourd'hui et essayer d'arranger un peu le dommage fait à son corps.

— Qui êtes-vous ? chuchoté-je.

C'est étrange, une chose en lui me fascine avec une intensité sans pareil. J'ai presque l'impression de l'avoir déjà vu, en vain.

Son corps a un tressaillement, presque comme s'il m'entendait et cherchait à me répondre. Je sais pourtant que cela n'est pas possible

— Je ne vais pas vous laisser mourir, ajouté-je.

Parler à un patient dans un coma médical. Un inconnu, d'autant plus. Voilà que j'avais finalement perdu la tête.

— Ça va être dur, continué-je néanmoins. Je vais faire tout mon possible, et vous êtes chanceux, parce que je suis extrêmement douée à ce que je fais.

Un juron manque de m'échapper. Je réalise alors que ce cas est presque personnel, pour une raison qui m'échappe encore. Une question de fierté. J'haïs perdre mes patients, et celui-ci est sans aucun doute un défi. Peu importe, je trouverai une façon de le sauver.

Je me mets debout, prête à quitter sa chambre, lorsque quelque chose attire mon regard. C'est fou, et impossible, pourtant j'aurai pu jurer le voir sourire, sous le tube qui le maintient en vie.

Je chasse ses pensées idiotes, prête à enfin commencer ma journée. 

Le sang des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant