Chapitre dix

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Arès

Avec incrédulité, je fixe les deux nouveaux venus. Plusieurs émotions se bousculent dans mon esprit - fichue humanité - dont un mélange de surprise et de soulagement. Une rage sourde, également, mais j'y suis habitué. Hermès me regarde, une forme de pitié lisible dans ses yeux. Aphrodite se tient à ses côtés. 

Aphrodite.

Elle m'a trahie. Un sourire étire mes lèvres, la déesse m'a trahie à plusieurs reprises au cours de notre histoire, mais cette fois-ci elle m'a réellement abattu. Son regard fuit le mien, avec raison, elle craint sans doute de lire la haine qui y brûle.

— Il faut qu'on parle, lança Hermès.

Un vent froid souffle dans la pièce, bien que la fenêtre soit fermée. De mon lit, je peux deviner que le couloir de l'hôpital était vide.

Aphrodite hoche la tête, mes yeux restent fixés sur elle. Cela fait des années que je ne l'ai pas vu sous sa forme humaine, et je la trouve pathétique. Magnifique, bien sûr, superbe, gracieuse, élégante, éclatante également. Pathétique.

Mes mains se ferment en poing. Fut une époque où j'adorai Aphrodite sous toutes ses formes, mais cette dernière est révolue.

— Il était temps, rétorqué-je la voix rauque.

Ils sont sans doute ici pour me parler de ma punition. J'ose imaginer que mon père les a envoyé me chercher, afin de me rendre ma place.

Un visage s'impose dans mes pensées. Le médecin. Pourquoi mon cœur se serre-t-il comme si je regrettais ne pas pouvoir lui dire au revoir ? J'observe mes deux visiteurs d'un œil mauvais, j'espère qu'ils ne l'ont pas croisé. J'ignore ce qu'il m'arrive, mais l'humanité commence définitivement à me peser.

Sur ces pensées, je balaie ma petite chambre du regard. Je hais les hôpitaux, mais ils ont le mérite d'être une construction efficace. Je sais accepter l'ordre quand je le vois, et le docteur Ceaser gère ses équipes avec une main de faire.

Je secoue la tête, son nom et son visage ne cessent de s'imposer à moi.

— Vous êtes venus me chercher ? demandé-je finalement.

Sur ces mots, j'entreprends d'arracher les différentes perfusions qui restent enfoncées dans ma peau.

— Arès, intervient Aphrodite, non.

Le mot résonne sèchement. Cette réponse m'enrage, ils ne sont pas là pour me ramener à l'Olympe. Quoi d'autre, alors ?

— Quoi ? lancé-je. Vous êtes venus en cachette ? Le Grand sera ravi de savoir que vous désobéissez à ses ordres.

Cette pensée m'amuse.

— Il l'a autorisé, rétorque aussitôt Hermès.

— Mon cher père s'inquiète-t-il pour moi ?

Aucun d'entre eux ne prend la peine de répondre. Car il est évident que non.

Je lève les yeux au ciel. La rage qui coule en moi pourrait faire bouillir mon sang. Toute cette haine, et mon incapacité d'en faire quoi que ce soit, est terriblement douloureuse. Bien plus que mes récentes plaies.

— Il t'a envoyé sur Terre pour te faire discret, pas pour mourir en un mois.

Nous nous tournons vers Aphrodite, qui vient de parler. La colère lisible dans ses beaux yeux est presque adorable. Elle essaye de me réprimander, comme si elle possédait la moindre autorité sur moi.

— Je suis surpris de te voir ici, lui dis-je. Surtout après ce que tu m'as fait.

— Arès...

Un avertissement latent se fait entendre dans sa voix.

Je m'assois sur mon lit pour mieux leur faire face. J'en profite également pour finir d'arracher tous les fils et aiguilles qui sont connectées à moi.

— Qu'est-ce qu'il pensait que j'allais faire ? rétorqué-je. Me trouver un emploi dans un bureau ? Me marier ? Me faire des amis et sortir chaque fin de semaine ?

— Grandir, répond-elle d'un ton tout aussi sec. Cesser d'agir comme un enfant gâté...

Hermès se racle la gorge, lui coupant la parole.

— Nous sommes venus te porter un avertissement, et n'avons pas très longtemps à tes côtés.

Cette fois-ci, je reste silencieux.

— Ta vie a été épargnée par ton père, mais c'était ta dernière chance. Tu es mortel Arès, et la prochaine fois que tu te retrouves dans une situation comme celle-ci sera... (il s'apprête à dire quelque chose mais semble se raviser). Il est temps que tu apprennes.

— La dernière ? complété-je pour lui. La prochaine fois que je me retrouve dans une situation comme celle-ci, sera la dernière.

Je vis rouge pendant un bref instant et mon désir de vengeance semble grandir encore plus. J'ai conscience que mes blessures auraient dû me tuer, à vrai dire je me suis senti partir quelques instants avant la première opération.

Mais jamais, au grand jamais, je ne me serai douté que la mort deviendrait réellement une de mes punitions. Je suis un dieu, je ne peux pas mourir.

— Ce jeu a assez duré, lancé-je.

La rage dans ma voix rend mon ton hargneux.

— C'est ce que tu ne comprends pas.

Aphrodite vient de parler. Elle me fixe, le regard vide d'émotion. Elle a l'audace de sembler déçue.

— Ce n'est pas un jeu.

Je secoue la tête, ignorant sa réflexion. C'est également à ce moment que je décide de mettre debout, cette conversation est stérile. Aucun des deux dieux ne comptent m'aider. Il me faut une autre solution.

Je parcours la salle des yeux, je n'ai rien ici. Rien qui m'appartient, je peux donc partir sans un regard en arrière, retourner à ma vie.

Pourquoi cette pensée m'est-elle si douloureuse ? Mon esprit dérive soudainement, une image s'y impose d'elle-même. Le médecin. La jeune femme rousse qui s'est occupée de moi. Mes instincts me hurlent d'aller la chercher, de l'emmener avec moi.

Un sourire étire mes lèvres. L'idée de simplement la jeter par-dessus mon épaule et l'emmener loin de cet hôpital est tentante, mais trop risquée.

— Quitte cet hôpital, continue Hermès sévèrement, tu es décédé dans leurs dossiers. Et tâche de ne plus y revenir, ça fait deux fois.

Sur ces mots les deux dieux se volatilisent et le silence devient assourdissant. Mon frère ignore que son avertissement est vain. Je reviendrai visiter cet endroit, bientôt.

Quelque chose ici m'appartient après tout. 

 

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Le sang des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant