Chapitre treize

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— Docteur Ceaser ? 

Je souris au chef de mon nouvel hôpital.  

Me voici arrivée dans une nouvelle ville. Nouvel hôpital. Nouvelle vie. J'ai enfin fais mon déménagement, il y a un peu plus d'une semaine que je suis arrivée. 

Un peu fébrile, je parcours le bureau du regard. J'ai un mois de formation avant d'être, moi-même, à la tête de tout un service chirurgical. Il y a de quoi être stressée, et même mon arrogance habituelle ne me suffit pas à me sentir confiante. Ceci dit, bien sûr je sais que je le mérite. Cette position. Après tout, j'ai travaillé d'arrache-pied pour arriver ici. 

— Est-ce que ça va ? demande l'ancien chef. 

La personne qui occupait autrefois ma position me forme. Il s'agit d'un homme répondant au nom de Harry. Âgé de la soixantaine, au crâne rasé et à la barbe finement taillée. 

Sa peau noire est lézardée par quelques cicatrices et je devine d'ancienne brûlure sur son bras gauche. 

— Je vais réussir à m'en rappeler, réponds-je. 

Il vient de passer deux heures à m'expliquer comment les dossiers se classent via leur outil numérique. C'est différent de ce dont j'ai l'habitude. Le chef regarde sa montre. 

— J'ai une pause bientôt. Est-ce que ça vous convient si on se retrouve d'ici trente minutes pour continuer ? 

Je hoche la tête, distraite. Je vais passer l'après-midi dans leur service de traumatologie, dans la salle des urgences en bas, pour voir un peu comment les choses fonctionnent ici. Je peux déjà dire que tout cela nécessite de grands changements. En somme, j'ai beaucoup de travail de réorganisation. 

Lorsque Harry quitte le bureau, je lui emboîte le pas pour rejoindre l'un des couloirs très animés de l'hôpital. 

— J'ai vu sur votre CV que vous avez servi dans l'armée, me dit-il dans une tentative de lancer une conversation. 

Je lui souris tout en fourrant mes mains dans les poches de ma blouse. 

— Oui, pendant deux ans. 

Je n'aime pas en parler. 

J'essaie de ne pas retomber dans mes souvenirs. J'ai servi comme chirurgienne là-bas, c'est d'ailleurs ainsi que j'ai appris l'organisation et la patience qui me rendent si bonne à mon travail. Mais les souvenirs de tous ces soldats que je n'ai pas pu sauver me hantent. Des jeunes qui ne rentreront jamais chez eux. 

Parfois parce que le terrain ne nous permettait pas d'opérer comme nous le désirions, d'autres fois parce que le destin pouvait juste être cruel. 

Harry me fait un signe de tête pour me désigner le chemin vers la salle de pause, me demandant ainsi si je l'y accompagne. 

— Non merci, lancé-je, je vais me promener un peu plutôt. Essayer de me familiariser avec l'équipe et les lieux. 

Il hausse les épaules, visiblement indifférent. Après m'avoir rappelé le code pour le joindre via le bip, il s'élance d'un pas tranquille vers sa pause. Moi, je balaye du regard ce nouvel environnement. La décoration est très différente, plus colorée et moins sobre. 

Les murs sont parfois peints d'une couleur très voyante, comme du orange. 

Je hais le orange. 

Tout est aussi organisé différemment, et je me perds beaucoup. Je prends une profonde inspiration pour me donner un peu de courage. Je m'avance dans ce qui me semble être un véritable labyrinthe. 

Il n'y a qu'un seul chemin que je connais par cœur. 

Et c'est celui qui mène aux soins intensifs pour enfants. Je connais cet étage sur le bout des doigts. J'y ai passé beaucoup d'années de ma vie. D'un pas un peu fébrile, peut-être même légèrement apeuré, je rejoins la chambre qui m'intéresse. 

— Docteur, me salue une infirmière. 

Je me contente de lui sourire en réponse. 

Puis je lève les yeux vers la porte. Le numéro 256 est écrit en lettres dorées dessus. Puisqu'ils se situent à l'étage destiné aux enfants, les murs sont décorés de stickers en tout genre. Des animaux pour la grande majorité. Cette pièce n'y fait pas exception. Je presse la poignée et la porte s'ouvre en un clic habituel. 

— Salut Pan-pan, me dit l'habitante de la chambre sans aucune surprise. 

Allongée sur un lit qui semble beaucoup trop grand pour elle, ma petite sœur me regarde. 

Un masque respiratoire à la main. Elle paraît si petite dans cette immense chambre que je sens une boule se former au creux de mon estomac. Je lui souris néanmoins. 

Daphné a une très grande différence d'âge avec moi. Elle est tout juste âgée de dix-sept ans. Notre mère est morte en couche et c'est donc moi qui l'ai élevée, et mon cœur est rempli d'amour. Autant qu'il l'est d'inquiétude. Daphné souffre d'un stade très avancé de la mucoviscidose. Elle passe de plus en plus de temps à l'hôpital, les fluides dans ses poumons sont de plus en plus épais. Sa situation ne fait que s'aggraver. 

Elle est la réelle raison de ma présence ici. 

Parce que même si l'avouer me tue, ma sœur ne va pas guérir. 

— Salut gamine.

Le sang des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant