Chapitre deux

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Pandore

Je jure à mi-voix quand ma bouteille d'eau m'échappe des mains et s'écrase au sol, rebondit une fois avant de rouler sous le lit de camp. Le bouchon était à moitié vissé — évidemment — et maintenant une traînée brillante s'étire sur le lino bon marché comme si elle voulait fuir, elle aussi.

Je me penche, récupère la bouteille, et essaie d'essuyer la flaque avec la manche de ma blouse. Échec total. Génial. Je suis trempée avant même que le soleil ne se lève.

Mon reflet me saute aux yeux dans le panneau métallique à côté du lavabo. Cheveux en bataille, regard creux, mâchoire crispée comme si je mâchais du béton. J'ai l'air d'un regret ambulant.

Derrière moi, les draps remuent.

— Tu vas où ? demande Marc, la voix encore embourbée dans le sommeil. Il ne tente même pas de se redresser.

Je ne réponds pas tout de suite. Je fixe juste le désastre au sol comme s'il allait se résoudre tout seul. Puis je jette un coup d'œil vers le lit. Sa silhouette est à peine discernable sous les couvertures — une masse paresseuse avec un diplôme en médecine.

— Cas urgent, je finis par lâcher. Le ton est sec. Je ne lui dois pas d'explication, mais je lui en donne une quand même.

Il marmonne quelque chose d'inintelligible. Une protestation, sûrement. Je n'ai pas l'énergie de déchiffrer.

La pièce est sombre — l'une des salles de repos du personnel, planquée au fond de l'aile des urgences. La lumière vacille, l'air sent la sueur et le café lyophilisé. Une moiteur s'accroche aux murs, comme si le bâtiment lui-même soupirait de fatigue.

Les draps sont encore chauds. Froissés. Embrouillés. Une pointe de culpabilité me traverse — pas pour ce qu'on a fait, mais pour ce que je vais laisser. Je n'aurai pas le temps de refaire le lit. Pas le temps de ranger les choses à leur place. Marc s'en chargera. S'il se lève avant que les agents d'entretien ne débarquent.

— Debout, je dis, plus sèche cette fois, en attrapant une de mes baskets par terre. Je tente d'y glisser mon pied, mais les lacets sont noués comme une mauvaise blague. Bien sûr. Évidemment.

Il ne bouge pas.

Je finis par m'approcher du lit.

— Si tu veux que je t'aide à nettoyer, c'est maintenant ou jamais.

Toujours rien. Juste un grognement planqué sous un juron.

Je pose la main sur son épaule et le secoue sans douceur.

— Allez.

Il grogne, enfouit son visage plus profondément dans l'oreiller.
— T'es cruelle, marmonne-t-il.

— Cruelle, ce serait de t'asperger avec cette flotte.

— Dormir, il répète, le mot traînant comme un môme qu'on tire hors du lit un lundi matin.

— T'es chirurgien, Marc. Tu dors pas.

Ça arrache un râle. Sa tête se soulève de deux centimètres avant de retomber. Je récupère ma deuxième chaussure et vacille un peu en l'enfilant. Le sol est glacé, le froid me transperce jusqu'aux chevilles. J'ai encore oublié mon pull. Et l'hôpital ne chauffe plus les dortoirs du personnel, bien sûr. Coupures budgétaires, qu'ils ont dit.

— Comment tu fais ? lâche enfin Marc, la voix râpeuse. Il est assis à moitié, les cheveux en bataille, les yeux bouffis, injectés de sang. Il a l'air d'un type qui s'est pris un coup dans l'âme.

Je serre ma blouse autour de moi.

— Je dormirai quand je serai morte.

Il ricane, à peine.
— T'y es déjà à moitié, non ?

Le sang des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant