Je traverse la foule avec un demi-sourire qui flirte avec le mépris. Les humains le sentent — cette gêne sourde à la base du dos, ce chuchotement ancestral qui grince dans l'os : quelque chose cloche. Ils ne savent pas ce que je suis, pas vraiment, mais leur instinct, lui, n'a pas oublié. L'instinct, c'est l'un des rares trucs qu'ils n'ont pas encore réussi à noyer dans la lumière bleue des écrans ou dans leurs slogans de pacotille.
Ils s'écartent comme du bétail à l'approche de l'orage. Comme des proies. Certains essaient de faire semblant, jouent les braves, me jettent des regards de côté pleins de cette vanité ridicule qui ressemble vaguement à du courage. Mais leur corps les trahit. Un sursaut ici, un frisson là. Ils savent. Dans leur sang, dans les recoins effilochés que l'évolution a oubliés de polir, ils se souviennent des dieux.
Parfait. Qu'ils s'en souviennent.
Ce ne sont que des animaux, en réalité — empilés dans des tours qu'ils ne peuvent pas payer, courant après des paies qu'ils ne garderont jamais, noyés dans le bruit, le néon, et cette conviction désespérée que leurs routines ont un sens. Qu'en se réveillant, en prenant le métro, en souriant au bon moment, ils finiront par gagner quelque chose qui ressemble à une rédemption.
Ils ne gagneront rien.
Et pourtant, ils bougent. Toujours. Comme si bouger suffisait à les rendre vivants.
Idiots.
Je hais ce monde. Pas seulement pour sa saleté — bien qu'il y en ait à revendre. C'est le vide qui me ronge. Tout est fade ici. Même la guerre. On pourrait croire qu'avec les armes qu'ils ont créées, les dieux qu'ils ont remplacés par des drapeaux et des marchés boursiers, ils sauraient mieux détruire. Mais non. C'est propre, c'est froid. Sans âme.
Je roule des épaules, pour tenter de calmer l'irritation qui me ronge sous les côtes. Celle qui se souvient encore des champs de bataille, des hurlements offerts comme prières. Ça me manque. Cette pureté-là.
Aujourd'hui ? Je suis coincé ici. Dans une ville qui pue l'urine et le parfum bon marché. En route pour une réunion dont je n'ai rien à foutre. J'aimerais être ailleurs — de préférence à réduire quelque chose en cendres — mais j'ai passé un accord. Et je tiens toujours parole.
Même comme ça.
Même maintenant.
Privé de feu. Enchaîné à cette chair.
Je sens le verre brisé crisser sous mes bottes en arrivant devant le bar. Mon reflet me renvoie un éclat dans la vitrine souillée : ce corps me colle encore à la peau comme une armure trop étroite. Le visage, à peu près le mien. Les yeux, toujours les mêmes : améthyste, tranchants, sans indulgence. Mais je sens ici un poids que je n'avais jamais porté avant. La mortalité, ça pèse.
Je soupire. Une autre mascarade. Une autre pièce remplie de mortels persuadés d'être rois.
Finissons-en.
Rage m'attend.
Oui, Rage. C'est comme ça qu'il se fait appeler.
Les humains et leurs noms... Toujours à vouloir attraper des choses trop grandes pour eux. Comme s'ils pouvaient invoquer la violence à force de la nommer. Mauvaise nouvelle : appeler un cafard "général" ne le rend pas moins répugnant.
La lumière blanche à l'intérieur me gifle les yeux. Crue. Artificielle. Trop propre pour un endroit qui pue la sueur et l'échec. Qui choisit un éclairage d'hôpital pour un bar ? Un sadique accro au minimalisme, sans doute.
Je pénètre dans l'endroit, mes yeux s'ajustent. Tables bon marché, sol collant, haleine rance de dix mille nuits foutues. Je balaye la pièce du regard — rien. Pas de feu. Pas de défi. Juste une ribambelle de corps vidés qui sirotent leur poison en prétendant exister. Ils ne comptent jamais.

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Le sang des Rois
ParanormalArès, dieu de la guerre cruel et sanglant, n'a toujours connu que la haine, l'anarchie et le chaos total. Avide de destruction, il est banni de l'Olympe par son père, Zeus, qui le condamne ainsi à l'oubli de sa vie d'antan et à la mortalité. Arrivé...