Le Hobbit : Sombres présages [Tome 2]

Chapitre LXVII : Un cœur vaillant

Au sein des ténèbres avançait dans un silence mortuaire une silhouette courbée par le chagrin et l'impuissance. Son regard bleuté perçait l'obscurité grandissante. Ses mains, tremblantes, se fermaient et s'ouvraient dans des gestes frénétiques et ses pieds, hésitants, trainaient sur la roche glacée. Englouti par cette noirceur malsaine, le Nain avançait, la tête basse, au milieu de cette salle où reposait désormais celle qui lui avait donné la vie. La gorge serrée par les sanglots qu'il tentait de retenir, il inspira profondément, comme pour se donner le courage de rejoindre la tombe où reposait sa mère.

Les lèvres tremblantes, Aldaïn observa la seule femme qui avait compté dans sa vie. Elle avait été son pilier. Elle avait été celle qui ne l'avait jamais rejeté, qui l'avait chéri jusqu'à son dernier souffle.

Les yeux éternellement fermés, sa mère semblait endormie. Les traits de son visage désormais détendus, elle reposait, comme apaisée. Loin des nombreux tourments, elle laissait ainsi son fils seul face aux malheurs que leur avait infligé la vie.

Affligé et le cœur consumé, Aldaïn posa sa main sur celles de sa mère. Croisées sur son ventre immobile, elles étaient d'une pâleur cadavérique et d'une froideur terrifiante. Aldaïn contempla alors l'éternelle endormie, les yeux brillants par les larmes qui menaçaient de couler et par les fines flammes mouvantes sur les torches installées autour de la tombe.

- Que vais-je faire sans vous mère ? Pourquoi m'avez-vous abandonné à votre tour ?

Le Nain serra la main glaciale de sa mère comme si ce simple geste pouvait la garder auprès de lui.

Comme si cela pouvait la réveiller.

Son pilier n'était plus. Le centre de son monde le laissait seul face à ses démons. Son repère maternel et affectif avait rendu l'âme. Qui allait désormais le consoler ? Le rassurer ? Qui serait là pour l'aimer ? Pour le reconnaître et non pas le dénigrer ? Vers qui pourrait-il se tourner lors de ses doutes, de ses craintes ? Qui pourrait parvenir à le calmer lors de ses crises de colère démesurées et la jalousie maladive qui le détruisait peu à peu ? Qui parviendrait à le ramener à la raison ?

Qui, en dehors de sa mère, parvenait à le calmer lors de ses pulsions violentes et meurtrières ?

Personne.

Car Aldaïn était désormais seul au monde.

Le fils délaissé serra les dents et ferma les yeux. Il ne pouvait pas pleurer. Il se le refusait. Rempli de rancœur envers le monde, le Nain méprisait ceux qui se laissaient tomber dans les méandres de la tristesse.

Mais lui n'était pas comme ça. Aldaïn était supérieur. Il le savait depuis toujours. Et pourtant son propre père avait ordonné qu'il soit jeté de chez lui pour protéger un être abject et dépourvu d'intelligence. Thorïn n'était rien à côté de lui.

Rien du tout.

Il n'était qu'une chose insupportable, incapable de comprendre qu'il n'était qu'un détail infime, un être bien ridicule à côté de lui. Aldaïn avait toujours été supérieur à son demi-frère. Aujourd'hui encore, il en était toujours convaincu.

- Je vous ai causé bien des tourments mère, fit le Nain en caressant les cheveux de la femme endormie. Mais était-ce mal de ma part de vouloir nous protéger ? Peut-être étais-je maladroit, mais chaque chose que j'ai entrepris avait pour but de punir l'injustice dont nous avons été victime.

Le Nain baissa la tête et posa son front contre la pierre où reposait sa mère. Il se souvint alors du regard de haine que lui avait jeté son père lorsqu'Aldaïn tenta d'assassiner Thorïn dans son sommeil. Cet être odieux qui détruisit sa vie dès qu'il poussa ses premiers cris ne méritait guère un tel courroux de la part de son géniteur. Par cet acte légitime, Aldaïn voulait rétablir la justice et retrouver sa place qui lui revenait de droit et qui lui avait été volée par cet enfant capricieux et stupide ! Cette petite chose répugnante lui avait ôté l'amour et l'intérêt que lui portait son père !