Le Hobbit : Sombres présages [Tome 2]

Chapitre XXIV : La cascade

Maintenant que Gandalf les avait quitté, Thorïn et les siens devaient faire preuve davantage de prudence car le danger, omniprésent, pouvait se cacher n'importe où et sous n'importe quelle forme. L'absence du magicien ne les inquiétait guère ; ils espéraient simplement le retrouver à l'entrée de Fangorn. Si trois ans plus tôt, le vieil homme leur avait intimé de l'attendre avant d'entrer dans la Montagne, son absence et le temps qui s'écoulait avaient empêché Thorïn d'attendre l'arrivée de Gandalf.

Si Ecu-de-Chêne réfléchissait à la suite de leur voyage, Alyson ne pouvait s'empêcher de faire de même. Chaque étape de leur périple qui les rapprochait de la forêt du Rohan l'amenait également vers un destin incertain. La mort, sous n'importe quelle forme, l'épiait sans doute déjà. Celle-ci viendrait la chercher en brandissant l'épée ou en usant de forces bien plus perfides.

Quoi qu'il en soit, Alyson s'y préparait.

Quelle cruelle ironie dont pouvait faire preuve le destin ! Si la mort était aujourd'hui leur quête, la mutante ne pouvait s'empêcher de croire qu'elle y laisserait sa vie. Du moins, c'est ce qu'elle avait compris de sa discussion avec la Dame de Lorien. Son choix, quel qu'il soit, ne pouvait entraîner que de lourdes conséquences pour l'avenir de Thorïn. L'avenir de sa lignée dépendait de sa présence.

Ou de son absence.

La Compagnie s'approchait peu à peu de la Moria. Jadis grand Royaume, cette Montagne n'était plus qu'un gouffre remplie d'obscurité, hanté par la plus démoniaque des créatures. De ces ténèbres rugissait parfois le Fléau de Durïn, tandis qu'autour de lui, l'ennemi grouillait, formant ainsi une barrière peut-être infranchissable pour pénétrer dans le Pays de Dun.

Il était aisé de savoir qu'ils se dirigeaient droit vers un piège mortel et Alyson n'ignorait pas que Thorïn partageait la même angoisse.

Si Fangorn était leur destination, Thorïn et les siens devaient vaincre les forces de la Moria.

* * *

Si la nuit s'annonçait paisible pour la Compagnie, il en était tout autrement pour Thorïn. Le silence, presque total, les avait enveloppés et, bien que cela le réconforte, Ecu-de-Chêne ne trouvait pas le sommeil. Son esprit ne cessait de bouillonner ; il semblait se revoir lors de la quête pour reconquérir leur Royaume de jadis et s'il refusait de montrer ses inquiétudes à ceux qui l'accompagnaient une fois de plus, cela ne l'empêchait pas de ressentir l'angoisse lui nouer le ventre lorsque la nuit tombait ; ni le poids qui lui pesait sur les épaules. La lune au-dessus d'eux, ronde et qui se voulait rassurante, n'était qu'à ses yeux un signe de malheur car le Nain sentait – savait – que le destin serait synonyme de tragédie.

Cette simple pensée le remplissait d'un profond chagrin et l'affliction le gagnait alors jour après jour. Chaque matin était une angoisse supplémentaire car Thorïn savait que tout pouvait basculer en quelques secondes.

Ecu-de-Chêne se tourna sur le côté et soupira. Cette idée, redoutable et pourtant bien trop réelle, le remplissait d'une douleur et d'une colère qu'il tentait de contenir. Il ne pouvait se permettre de perdre son sang-froid ; son titre, son statut et son rôle l'y obligeaient car avant d'être un homme, Thorïn était un Roi.

Et Alyson ?

Au plus profond de lui, Ecu-de-Chêne sentait que la mutante lui cachait quelque chose. Ou peut-être se faisait-il des idées ? Pourtant, le Nain se souvenait de cette lueur d'inquiétude, fugace, qui avait éclairé les pupilles de la mutante le jour de leur départ de Faudcombe. Que s'était-il donc passé dans la demeure du Seigneur Elrond ? Qu'avait-elle vu ? Ou entendu ?

Ou se remettait-elle encore en question ?

Tandis que les compagnons, excepté Bombur, de garde jusqu'au milieu de la nuit, semblaient endormis, Thorïn se leva et, sous les yeux du gros Nain qui fronça ses épais sourcils, il s'éloigna, levant haut les pieds pour ne pas trébucher sur les jambes de ceux qui sommeillaient. Le Nain s'arrêta lorsque Bilbo, profondément endormi, gémit, tel un enfant victime d'un terrifiant cauchemar.