Musique Concrète

29 3 0
                                    

Et alors que je tentais de refermer la porte sur lui, la verrouillant derrière moi, il m'en empêcha en la cognant violemment de son épaule. Projetée par le coup et consciente du danger imminent, je m'éloignai du battant et me mis à courir.

Il me suivait de près, se dépêchant derrière moi, comme un prédateur chasse sa proie. J'entendais ses chaussures claquer contre le parquet de la coursive et sa respiration devenir de plus en plus lourde, résultat de son effort physique. Je ne le voyais qu'à moitié lorsque je me retournais pour évaluer la distance qui nous séparait, à cause de mes cheveux lâchés, qui se baladaient devant mon visage et me brouillaient la vue. Ma propre respiration se faisait saccadée tandis que mes pieds tambourinaient le sol dans un rythme frénétique. Notre course était comme une musique sauvage, les sons se mélangeaient dans une mélodie de peur et de haine. Nous étions hors de contrôle, moi rongée par une panique surabondante, lui, guidé par une folie dévastatrice. Chaque pas que je faisais comptait pour deux des siens, et alors que je cherchais à le semer, il ne faisait que s'approcher un peu plus de moi.

Je décidai de tourner vivement dans la cabine de droite, espérant créer de la surprise chez lui, ce qui l'obligerait à ralentir et me permettrait de m'enfermer avant qu'il ne m'atteigne. Alors que j'ouvrai la porte d'un mouvement brusque, fatiguée par ma course et à bout de souffle, je trébuchai contre la table disposée à l'entrée du compartiment. Je me rattrapai à celle-ci, et le temps que je me retourne dans l'espoir de verrouiller la porte, il était déjà devant moi, agrippant ma gorge, balançant son corps sur le mien. La pression qu'il exerçait condamnait le bas de mon dos à joindre le bord de la table, que je sentais s'enfoncer petit à petit dans ma peau. Sa main continuait de peser sur mon cou, s'accrochant à mon larynx, j'étouffais. Il me fixait, ses yeux exorbités plongés dans les miens, un sourire morbide collé au visage.

J'allais m'évanouir lorsqu'il relâcha enfin la pression pour diriger ses deux paumes vers les miennes. Il les saisit presque tendrement, avant que sa main gauche ne parte se promener dans la poche arrière de son jean. Il en sortit un outil que je ne pouvais distinguer et me détailla d'un air mauvais, tandis que je me retenais de vomir. Beaucoup plus brusquement cette fois-ci, il saisit mon poignet gauche de sa main libre, pendant que l'outil qu'il maintenait dans son autre main s'approchait dangereusement de mon index. Un sécateur. Je n'eus pas le temps de me débattre, les lames s'ouvrirent et se refermèrent violemment sur mon doigt, laissant derrière leur passage un ruisseau de sang.

J'hurlai de douleur, des larmes roulaient sur mes joues, tandis qu'il restait silencieux, observant le flot écarlate s'échapper pour enfin atterrir sur le parquet de la cabine. Puis, subitement, il éclata de rire. Une nouvelle mélodie occupa l'espace, portée par nos deux voix. Moi, mes cris et mes pleurs, lui et son hilarité irrépressible. Je me laissai glisser au sol, à bout de force, le regard vitreux, et à la vue de ma main, ma respiration s'emballa. Pourtant, malgré la terreur, je restais incapable de bouger. Une fois son fou-rire calmé, lui s'agenouilla en face de moi, et se mit à examiner la tâche grandissante qui s'étendait sur le plancher. Il y plongea son doigt avant de ramasser le mien. Mon doigt.

Alors, il se releva et agrippa une partie de mes cheveux, la tirant vers lui, de sorte à m'inviter à me relever. Voyant que je n'en étais pas capable, il me traîna le long des coursives, comme un animal transporte son gibier fraîchement attrapé. Une traînée rouge gravait notre chemin, égale au fil d'Ariane. Cette fois-ci, le trajet fut silencieux. Seul le bruit de ses pas venait briser le silence régnant le long des couloirs.

Il m'emmena jusqu'à la cuisine et m'abandonna près d'un meuble bas en acier inoxydable, auquel je décidai de m'adosser. Mes yeux se fermaient, distinguer ce qui m'entourait me devenait de plus en plus difficile. J'entendais des bruits d'ustensiles claquer les uns contre les autres, l'eau couler, le feu s'allumer. Des bruits de plastique s'ajoutaient à ce mélange sonore désordonné. Une dizaine de minutes plus tard, il revint vers moi, un bol rempli de ramens dans les mains. Il se baissa à ma hauteur, brandit des baguettes avant d'entamer son plat, puis s'approcha un peu plus pour me faire goûter sa réalisation. C'est à ce moment que je découvris flotter, au milieu des nouilles aux couleurs d'or, des morceaux de doigt soigneusement découpés.

17 Juillet 2021

Dear Diary,Où les histoires vivent. Découvrez maintenant