Chapitre 3

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♫ « Bloodstream »- Ed Sheeran ♫


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Joy
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Qu'est-ce que je me les caille ! Je tente désespérément de réchauffer mes mains meurtries par le froid glacial depuis plusieurs minutes, sans succès. L'hiver londonien est décidément bien long cette année. Et je dois avouer que ma tenue n'est pas des plus appropriées. La neige tournoie autour de moi, déposant ses légers flocons sur mes collants. Je me lève du banc de l'arrêt de bus dans lequel j'ai trouvé refuge dans l'espoir que ma tête se soit enfin arrêtée de tourner. Négatif. L'alcool fait encore de l'effet dans mes veines. Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est. Et mon putain de portable est déchargé. Merde. Des hommes me regardent bizarrement de l'autre côté de la rue. Qu'est-ce qu'il fout ce fichu bus ? L'un d'entre eux se permet de m'assigner un sifflement. Je lui réponds par un doigt d'honneur et une tête qui en dit long. Heureusement, le bus me tire rapidement de cette situation inconfortable. J'y entre en titubant et m'empresse d'y atteindre un siège avant qu'il ne redémarre et que je ne m'étale dans l'allée. La chaleur me fait un bien fou. J'appuie ma tête contre la vitre, en espérant que les vibrations me garderont éveillée jusque chez moi. Je ne tiens pas encore à me retrouver au terminus à devoir appeler un taxi.

Des bribes de la soirée me reviennent à l'esprit. Le squat miteux, l'ambiance merdique, un tas de gens qui jonchaient le sol, un joint à la main et écoutaient une musique reggae lancinante. N'importe qui d'un tantinet dépressif mettait un pied là dedans en ressortait avec l'irrépressible envie de se jeter du haut d'un immeuble. Il faut vraiment que j'arrête de me laisser entraîner dans des galères pareilles. Un jour, ça pourrait mal finir. Je laisse échapper un bâillement pour le moins bruyant, attirant les regards des passagers sur moi. Je les réprime d'un regard noir comme je sais si bien les faire.

Nous sommes dimanche matin, Londres s'éveille. Les courageux travailleurs sont déjà sur le pied de guerre, prêts à affronter leur journée de boulot. Il faudra que je pense à jeter un œil à ma boite mails d'ailleurs. Ça doit bien faire une semaine que je n'ai pas daigné lire mes messages. J'ai sans doute reçu des offres pour des remplacements dans des hôpitaux. Mais je n'avais pas la tête à ça ces temps-ci.

La voix automatique du bus annonce mon arrêt. « Paddington ». Le joli quartier légèrement bobo de Londres. Je me lève et constate que les quarante minutes de trajet ont rendu mes idées plus claires. La brise d'air frais me fouette le visage lorsque je descends sur la chaussée. Mon appartement n'est qu'à quelques pas, mais dans la neige fraîchement tombée et mes hauts talons, je peine à avancer comme je le voudrais. Je parviens péniblement au parvis et tombe nez à nez avec quelqu'un que je n'ai absolument aucune envie de croiser. Andrew. Je le qualifierai comme un « putain de problème dont je n'arrive plus à me débarrasser ». Il n'a pas l'air dans un meilleur état que moi. Et je sais très bien ce qui l'amène ici, à attendre patiemment mon retour dans le froid. J'ai d'autres chats à fouetter. Pas de temps à perdre avec ses conneries. Il s'avance vers moi d'un pas déterminé.

- Eh Joy ! Ça fait un bail !

- Si tu le dis...

Je tente désespérément de me frayer un chemin jusqu'à la cage d'escaliers.

- Dis, il t'en reste ?

Et voilà. Il n'a pas perdu de temps pour me poser la question. Ce pourquoi il est venu me trouver.

- J'ai plus rien, désolée.

Je lui réponds sèchement.

- Je t'en prie, il m'en faut ! J'ai de quoi payer cette fois !

- Je te dis que j'ai plus rien Andrew, dégage maintenant !

Je le pousse pour accéder à ma porte d'entrée, tout en fouillant dans mon sac pour en sortir mes clés. Mais elles sont où putain ! Je suis prise de panique en imaginant les avoir perdues à la soirée, mais je finis par mettre la main dessus. Andrew est juste derrière moi à continuer à me supplier. Je pénètre enfin chez moi et m'enferme à double tour. Il donne un violent coup de pied dans ma porte et finit par abandonner.

- Enfoiré.

Lourdement adossée à ma porte, je ne peux pas m'empêcher de culpabiliser. Dans un sens, c'est un peu moi qui l'ai mis dans cette position emmerdante. Celle de l'addiction, de la dépendance, du manque.

Je me traîne péniblement jusqu'à ma salle de bain tout en retirant mes escarpins. J'éprouve un profond écœurement à croiser mon reflet dans le miroir. Pathétique. J'ouvre ma pharmacie. Bien évidemment, il m'en reste. Je fais rouler le petit flacon dans ma main un bon moment avant de l'ouvrir et d'en sortir deux gélules de Paxil. Je ne tarde pas à en ressentir les premiers effets. Mon cerveau se détend enfin. Mes pensées négatives font place à cette sensation de plénitude que je connais si bien.

Je parcours mon salon où règnent les vestiges d'une soirée que j'avais organisée. L'odeur de fumée froide me soulève le cœur. J'ouvre une des grandes fenêtres qui donne sur mon balcon pour laisser entrer de l'air frais. Je m'enroule dans un plaid et m'assois en tailleur dans un coin du canapé. Le répondeur de mon téléphone fixe m'indique que j'ai deux messages. Je lance la lecture.

« Bonjour Mademoiselle Benett, ici le service d'oncologie de l'hôpital St. Mary. Nous aurions besoin de vos services pour un remplacement de congé maladie courant de la semaine prochaine. Merci de nous rappeler... ». J'efface le message. Le second se lance. Je reconnais immédiatement la voix grave et profonde de mon père.

« Euh, Joy... C'est moi. Dis, quand tu auras un moment, tu veux bien me rappeler ? Ça concerne ta mère, elle ne va pas très bien ces derniers temps. J'ai pensé... Enfin, tu fais comme tu voudras, mais... Je pense que ça serait bien que tu lui reparles. » Il laisse un long silence, puis se racle la gorge.

« Tu nous manques tu sais. Bon... À bientôt... J'espère. » Ma gorge se noue et je sens mes yeux se voiler sous mes larmes. J'inspire un grand coup et réprime mon chagrin. Entendre sa voix remue encore en moi trop de colère. Je ne suis pas prête. Pas encore.

Je sais très bien ce que mes parents pensent de moi. L'image qu'ils se font. Avant de devenir un enchevêtrement de débauche, ma vie était plutôt normale. Je ne me suis pas entourée des bonnes personnes au bon moment je suppose. Bref, il est trop tard pour faire machine arrière. Ce qui est fait est fait.

Ma tête se fait plus légère. Je me lève pour refermer la fenêtre pour ne pas risquer de m'endormir en la laissant ouverte. Je ne tiens pas à devoir déneiger mon salon. Je pars dans ma chambre tout en retirant mon écharpe, mon perfecto et mon short en jean. Je m'affale sur mon lit et ne tarde pas à plonger dans un profond sommeil.

_____

Toc, toc, toc !

Putain c'est quoi ça ? J'ouvre difficilement les yeux. Mon réveil m'indique qu'il est déjà 15h.

- Foutez le camp !

Je marmonne entre mes dents. Mais la sonnette retentit dans l'appartement. Il me faut un certain moment avant de réaliser quel jour on est. Dimanche... Merde ! J'avais complètement zappé le rendez-vous pour la coloc' ! Je ne prends même pas le temps d'enfiler mon peignoir et ouvre la porte vêtue d'un simple débardeur blanc et d'un shorty en dentelles. Je m'en fous, c'est une nana de toute façon.

- Euh... Bonjour... Je suis Ava. On avait rendez-vous pour...

Elle jette un coup d'œil au papier qu'elle tient dans sa main avec probablement mon adresse notée dessus.

- Oui, c'est bien ici. Pour la colocation. Je suis Joy.

Je lui tends la main pour la saluer. Mon Dieu, elle a l'air si innocente.

- Je t'en prie, entre ! Et ne prête pas attention au bordel, j'ai pas pris le temps de ranger.


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YOURS. // Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant