Chapitre 38

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♫ « If I could fly » - One Direction ♫


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Joy
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Éphémère. Ce mot traduit à la perfection les dernières années de ma vie. Job éphémère dans lequel je n'arrive jamais à me poser plus de quelques mois avant d'étouffer et d'avoir envie de changer. Famille éphémère qui n'a pas su survivre aux événements tragiques qui se sont imposés à elle. Humeur éphémère qui ne cesse de passer de l'euphorie à la contrariété. Nana éphémère qui ne sait pas se poser dans la vie avec un mec sans suffoquer face aux responsabilités que cela pourrait engendrer.

Seulement, je me retrouve à présent confrontée aux configurations opposées à cette précarité qui a guidée ma vie. Comme si le sens du mot « éphémère » n'avait plus sa place dans mon quotidien désormais peuplé de personnes qui ont chamboulées mes habitudes.

Mais malgré cela, mes cauchemars ont de nouveau posés leurs valises dans le tiroir de mes angoisses cette semaine. Jusqu'ici, j'aurai probablement réglé le problème en avalant mes pilules miracles. Seulement, je suis parvenue à m'en passer depuis plus d'un mois et je refuse de replonger dans cette addiction. La faute à un mal-être profondément enfoui en moi depuis des années et qui refait surface à l'occasion d'une date anniversaire lourde de sens. Dix ans. Dix ans que Tim est parti. Dix ans que sa mort a fait de moi une fille unique et sans repères. Et le hasard des choses fait que cette date tombe un putain de vendredi 13.

En me rendant sur la tombe de mon frère, j'ai arpenté l'allée principale en espérant ne pas tomber nez-à-nez avec mes parents qui vivent dans les environs du Brompton Cemetery. Et j'ai choisi de m'y rendre en fin d'après-midi dans le même but. Mais lorsque j'ai aperçu l'immense bouquet déposé devant la stèle, j'ai compris qu'ils étaient déjà passés avant moi. Seule devant le marbre froid et triste, la douleur reste vive et indéfinissable. Même après tant d'années. Simplement, j'ai appris à vivre avec en la rangeant dans un coin de mon esprit. Un jour, j'ai fini par prendre conscience que si je ne le faisais pas, les émotions m'envahiraient. Et j'avais surtout envie que les gens cessent de me voir comme celle qui avait perdu tragiquement son grand-frère dès qu'ils posaient les yeux sur moi.

Voir tous ces symboles religieux me donne mal au crâne. Je ne me suis d'ailleurs pas beaucoup rendue sur ces lieux en partie à cause de cela. Le souvenir de mon frère perdure dans mes pensées et je n'ai jamais éprouvé ce besoin de me rendre à l'endroit précis où repose son corps pour me prouver que je pense sans cesse à lui.

La composition florale déposée par mes parents avec un bandeau « à la mémoire de notre fils » a dû leur coûter une blinde. Comme si claquer des centaines de livres dans des fleurs allait les conforter dans l'idée qu'ils sont toujours viscéralement attachés à l'enfant qu'ils ont perdu. Dans une semaine, elles ne ressembleront plus à rien. Les fleurs sont tout ce qu'il y a de plus éphémère. Contrairement à eux, je n'ai pas opté pour la conformité. Je voulais apporter à Tim quelque chose de symbolique, quelque chose qui le représente.

Même si ma jeunesse dépravée m'a amenée à cavaler sans cesse sans point d'attache, je ne me suis jamais séparée de ses médailles gagnées quand il pratiquait son sport de prédilection. J'ai protégé cette boîte à souvenirs bien plus que tout ce que je possède. Aujourd'hui, cela m'ait apparu comme le plus beau cadeau à lui faire. Je desserre ma main qui entoure le métal désormais ranimé par la chaleur de ma paume. La première place. Je me souviens du jour où il l'a gagnée et de la fierté que j'ai ressentie sans lui en faire part. J'accroche le petit cordon rouge autour de la pierre et la médaille se retrouve en équilibre au-dessus des trois lettres dorées de son prénom.

YOURS. // Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant