Les visites professorales

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Dans les services de médecine hospitalière, il y a toujours au moins une fois par semaine, La Visite Professorale.

Pendant une matinée entière le PUPH* responsable de l'unité (parfois le chef de service lui-même) fait le tour de l'ensemble des patients hospitalisés. L'objectif ? S'assurer que tout le monde va bien, que les thérapeutiques sont adaptées, et résoudre les diagnostics compliqués.

Imaginez un peu un maelström de blouses blanches, composé du boss, de son chef de clinique, des internes du service (au minimum 2 dans l'unité), d'une ou deux infirmières, et de l'ensemble des externes (au minimum 4 cette fois-ci). Dans mon infinie mansuétude, je vous épargne le calcul : nous sommes sur un minimum de 10 personnes. A présent essayez de vous figurer ce troupeau de badges colorés, stéthoscopes, et DECT assourdissants, pénétrant dans votre chambre en piétinant votre douce convalescence. Vous-y-êtes ? Bien. Pour finir, faîtes-vous à l'idée que vous portez la blouse hospitalière option « intimité apparente », que l'on va vous scruter pendant de longues minutes, peut-être désigner certaines zones de votre anatomie, et discourir à votre sujet à la 3e personne du singulier.

Ainsi, la visite professorale, c'est tout-de-même un peu spécial lorsqu'on l'observe en dehors du prisme médical !

Toutefois, je ne suis pas en train de dire qu'elle est inutile et qu'il faudrait la supprimer. Grand mal m'en prendrait. D'abord parce que j'ai plusieurs fois assisté à des diagnostics en temps réel sur des cas complexes, à en faire pâlir de jalousie un fameux protagoniste cinématographique estropié. Ensuite j'ai énormément appris au cours de ces promenades de service tant en matière de sémiologie que de raisonnement logique. En réalité, tout dépend de celui qui conduit la dite visite.

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Une visite professorale peut-être comique. Comme dans ce service de médecine interne où nous imposions une thématique vestimentaire à tous les externes et internes afin d'évaluer combien de temps mettrait le PUPH à s'en apercevoir. Cela devait faire un drôle d'effet aux patients de voir débarquer une armée de tee-shirt à pois ou de tissus rouges & noirs.

Il y eu également tous ces fou-rires partagés plus ou moins bien dissimulés, lorsque les patients viennent avec des accessoires ubuesques : serre-tête à oreilles félines, chaussons licorne, peluche géante encombrant le lit, peignoir de soie rutilante rappelant un certain politicien...

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Certaines visites professorales exigeaient un effort de présentation. Interdiction d'être fagoté comme un as de pique dans le service du Pr Piment. Pour éviter ses assauts piquants, les externes masculins devaient être rasés de près et vêtus d'une chemise, les baskets étaient proscrites, et les cheveux disciplinés. Un bien joli contraste avec les tenues gracieusement attribuées par l'hôpital*.

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Enfin, la visite professorale se mua quelque fois en un véritable calvaire. Chaque chambre devait être visitée et faisait l'objet de faux débats ou discussions inutiles. Le grand manitou Pr Ortie pratiquait ses effets de manches (d'une blouse qu'il ne portait que pour ces visites) devant un patient minaudant impressionné par toute cette attention. Les externes que nous étions, véritables plantes artificielles posées dans un recoin de la pièce, assistions à cette démonstration écœurante dégoulinante de paternalisme. Puis le patron quittait les lieux sans oublier sa petite tape déplacée sur la jambe du malade mais négligeant de recouvrir le corps exposé à tous par ses propres soins. La visite se poursuivait, interminable et condescendante. Les missions administratives(appeler tel labo, récupérer le compte-rendu de tel service, demander une convalescence en SSR...) pleuvaient sur nos petites épaules. Même les internes souffraient de cette balade hospitalière. A 13h Pr Ortie décidait brutalement de partir se restaurer et n'avait cure des 2 dernières chambres du couloir, les éternelles laissées pour compte. Il réajustait sa cravate et saluait l'équipe en se trompant honteusement sur les prénoms des internes. Je pense que ce stage participa inconsciemment à mon orientation vers une spécialité chirurgicale : visite rapide, sans le patron, centrée sur le patient, ou tout simplement humaine.

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Lexique du chapitre

* PUPH : professeur universitaire praticien hospitalier (les grands prof en somme)

*tenue hospitalière : je vous renvoie au chapitre futur "Tenue hot couture"

Petites tribulations d'une gynécologueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant