Ne bougez pas, on arrive !

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L'interne de gynécologie peut être sollicité à tout moment comme aide sur un accouchement inopiné. Entendez par « inopiné » l'arrivée d'un enfant en dehors des locaux de la maternité. Cela peut se produire aux urgences générales, sur un parking, dans les couloirs... C'est bien entendu plus fréquent chez les patientes qui ignorent leur grossesse, où celle qui n'en sont pas à leur premier enfant.

Un jour que je papotais avec les infirmières aux urgences, salle d'attente vidée, un homme se présenta à l'accueil. C'était un type grand, du style malabar, mais avec un visage tout doux de gentil. Une voix étrangement aiguë, sortit de sa bouche.

« Je crois que ma femme est en train d'accoucher dans la voiture »

Je posais mon café brusquement, manquant de m'étrangler.

« Mais elle est où exactement votre voiture ?! »

Toujours aussi calme, l'homme aux gros muscles me répondit :

« Juste en bas devant les portes.

- Merde, préviens les sages-femmes ! »

Triple axel pour mon estomac, je saisis des gants et dévalai les escaliers jusqu'à l'entrée principale. La voiture était ouverte de tout part, plein phare. Les lumières déchiraient le voile sombre de la nuit. Tout était presque trop calme. Madame soufflait comme pour gonfler un ballon, immobilisée par les contractions. Je me présentai en 2 secondes, allongeai le siège, examinai... Il était déjà là !

J'accompagnai un seul effort de poussée, et récupérai la crevette. Mes collègues arrivèrent avec du matériel, et je séparai l'enfant de sa mère. Ce jour-là il faisait tellement froid, que bébé fumait entre mes bras ! Je courus  jusqu'à la chaleur de la salle de naissance et confiai cette petite chose aux mains expertes des maïeuticiennes. La décharge d'adrénaline imbibait chacun de mes muscles. Je mis plusieurs minutes à me ressaisir :

« Mince, la mère ! »

Je retournai sur mes pas en courant pour m'occuper de la patiente. Tout le monde allait très bien. Je croisai alors le récent papa, ma tunique bousillée par sa progéniture. Je crois qu'il était encore choqué, car il demanda simplement :

« Il faut que je bouge ma voiture maintenant non ? ».

***

Histoire un peu analogue, celle de Mme Oignon consultant aux urgences générales pour douleur abdominale. Quelques heures d'attente plus tard, le test de grossesse biologique était revenu positif. On nous appela donc pour prendre en charge cette patiente enceinte, probablement à un stade précoce selon l'urgentiste.

Ce cas de figure est plutôt fréquent : douleur pelvienne, test de grossesse urinaire, annonce de la nouvelle, et enfin urgences gynécologiques pour faire le point.

10 minutes plus tard, ils nous recontactèrent. La voix semblait plus affolée.

« Finalement, oubliez le transfert, venez rapidement aux urgences centrales, elle est en train d'accoucher ! »

C'était un de ces hôpitaux parisiens immenses, équipés d'une navette interne pour les déplacements d'usagers. Evidemment tellement bien conçu, que les deux urgences (Gynécologiques et Générales) se trouvaient à la diagonale opposée.

Nous arrivâmes donc tout essoufflés, après que ma collègue sage-femme se fut littéralement vautrée sur l'appareil d'enregistrement du rythme cardiaque fœtal que nous transportions. Nous avions tout emmené sauf le petit bonnet du nourrisson...mais une fois l'enfant posé sur sa mère, nous fûmes convaincus que ce n'était pas si grave.

Mme Oignon, ne savait pas qu'elle était enceinte, elle avait accouché 10 mois plus tôt. De fait, elle attribuait son surpoids persistant à la précédente grossesse. C'est ce que nous appelons la grossesse sur retour de couche...(mauvais jeu de mot volontaire pour Mme Oignon) !

En rentrant, je jetai un œil sur la jambe de ma collègue. Amputée d'un morceau de chair, elle saignait, mais avait surtout doublé de volume. En salle de naissance nous confectionnâmes un bandage glacé de fortune. C'est là que la cadre débarqua, reluquant la jambe puis l'appareil (lui aussi avait été endommagé dans la chute : le tiroir ne fermait plus). Charmante comme à son habitude, la cadre s'emporta alors :

« Ah bah c'est malin, un monitoring en moins ! Ces appareils coûtent cher, vous auriez pu faire attention ! ».

J'adore les cadres mais un chapitre entier est nécessaire pour que je m'épanche sur ce sujet.

***

Lexique du chapitre

Je n'ai pas trouvé de charabia médical, mais à vous de me dire si certains mots sont obscures, je les ajouterais :)

Petites tribulations d'une gynécologueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant