Rencontres nocturnes

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L'interne de gynéco, est la sentinelle de la maternité. Si les urgences gynécologiques ont historiquement été créées pour prévenir les décès sur rupture de grossesse extra-utérine* et prendre en charge les complications de grossesse, il semblerait pourtant que leur fréquentation soit toute autre.

Il n'est de fait pas rare de rencontrer tout et n'importe qui/quoi aux « urgences » gynécologiques, un véritable ascenseur émotionnel ! J'ai parfois l'impression que certaines patientes sont des papillons de nuit, elles viennent comme attirées par la lumière.

Au cours de mon 1er semestre, j'ai notamment fait la charmante connaissance de Mme Salade.

Mme Salade est arrivée à 5h du matin un mardi. Pourquoi un mardi matin ? Parce que Mme Salade était barmaid et « profitait de la fin de son service » pour passer aux urgences « quand il n'y avait personne ». Ce que Mme Salade ignore c'est qu'il n'y a jamais « personne » dans une maternité, et que l'interne qu'elle rencontre à 5h du matin est debout depuis plus longtemps qu'elle. Sans rentrer dans des calculs arithmétiques complexes mais en résumant, à 5h l'interne est debout depuis presque 23h et est présent dans l'hôpital depuis 22h. Il est pour ainsi dire levé bien avant les clients qu'elle a reçus dans la soirée, et qui sont actuellement vautrés dans leur canapé, un peu de sang dans leur alcool. Bref l'interne est un animal noc-diurne.

Ce matin de fin de garde je traînai donc mes sabots de bloc jusqu'aux urgences et m'enquis de son motif de passage en feuilletant le registre d'inscription. Là, une chose surprenante se produisit : l'illustration de la mythomanie :

« Elle vient pour des douleurs pelvienne, me résuma l'infirmière en touillant son café.

- Non c'est pour des saignements. Elle n'avait pas si mal lorsque j'ai pris sa tension, corrigea l'aide-soignante.

- En fait c'est juste pour faire une échographie, avoua finalement Mme Salade dont le faciès était en effet moins algique que le mien après 24h debout.

- Une échographie ? , répétai-je bêtement.

- Oui, j'ai fait une IVG**, c'est pour voir si tout est bien « parti » quoi.

J'étais jeune à l'époque et je n'avais pas l'énergie pour lutter à quelques heures de la fin de la garde. Peut-être avais-je également envie de me débarrasser vite de Mme Salade : il est souvent beaucoup plus fastidieux de se battre que de s'exécuter.

Toujours est-il que je me souviens avoir demandé à Mme Salade en fin de consultation, pourquoi elle n'avait pas attendue 2 jours de plus pour faire son examen en consultation d'orthogénie comme il était convenu, puisqu'en définitive elle ne présentait ni douleur ni saignement majeur.

Elle rétorqua sans aucune gêne :

« Je pars en vacances demain, j'irai pas à leur rendez-vous ».

***

Un soir en plein été, vint une compère de Mme Salade, appelons-la Mme Courge. C'était une garde chargée aux alentours du 15 août. En ces mois estivaux, les urgences sont la lie du défilé « mon gynéco est en vacance ». Les motifs de consultation se superposent tous plus insolites les uns que les autres. Bien entendu, aucun n'est une réelle urgence : douleur depuis 3 semaines, sensation de fièvre apyrétique***, retrait de stérilet, consultation pour test de grossesse maladroitement dissimulé sous un motif « douleur »... Nous avions eu une soirée éreintante. Mon externe et moi savourions un soda frais en refaisant la garde sur un coin de bureau, lorsqu'arriva Mme Courge.

Il était 3h du matin.

La raison de sa venue brillait par sa précision et le luxe de sa description: « fatigue ». Mme Courge était enceinte et son gros pépin, c'est qu'elle était faaaatiguée. C'était une récidiviste de la fatigue en plus : elle en était à son 3e passage en 10 jours. Un rapide examen les traits figés bien que notre regard n'en fût pas moins exaspéré, et nous pûmes conclure que tout allait bien. Attention, on se méfie tout de même de ces patientes qui reviennent de façon rapprochée : il y a parfois baleine sous gravillon...

Mais non, là rien, que dalle, néant, zéro, tintin, makach walou ! C'est génial 15 minutes de ma vie gâchées. Je jetais un coup d'œil rapide au futur papa. Il n'avait même pas bronché. Un véritable zombie le gars.

Impossible de ne pas demander à sa charmante épouse « mais au fait, pourquoi venir à cette heure-ci ? ». Oui parce qu'en fait, je ne sais pas pour vous, mais moi lorsque je suis si ex-té-nuée, je dors à 3 du mat'. En fait je dors à toute heure même. Mme Courge ne se dégonfla pas, et elle m'expliqua tout naturellement avec ce débit très lent entrecoupé de pauses :

« Au moins.... j'étais sûre ....de ne pas attendre.

Pour simple réponse j'arquai un sourcil

- Parce que vous comprenez, reprit-elle, attendre.... ça me fatiiiigue. »

Non en fait, inutile d'argumenter, je ne comprenais pas.

***

Lexique du chapitre :

* Grossesse extra utérine : grossesse localisée en dehors de la cavité utérine (le plus souvent dans la trompe) qui malheureusement ne peut aboutir à  une grossesse viable et qui, par ailleurs, met la vie de la patiente en péril car peut évoluer vers une rupture de la trompe, un saignement et une hémorragie interne.

**IVG : Interruption Volontaire de Grossesse (médicale ici).

***Apyrétique : adjectif qui caractérise l'absence de fièvre. Entendez donc dans fièvre apyrétique l'ironie de l'oxymore ^^

Petites tribulations d'une gynécologueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant