Le meilleur pâtissier

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« Alors l'externe t'as fait quoi comme gâteau ? »

Combien de fois cette remarque m'a arrachée un regard noir ?! Mais pour que vous puissiez saisir l'ironie de cette question, il me faut planter le décor.

Il est couramment admis depuis la nuit des temps ou presque, que la réalisation d'un geste complexe pour la première fois conduise l'externe à remercier son encadrant. Cette gratification se matérialise alors sous la forme de dessert, par souci de commodité et gourmandise. Bon, ne me demandez pas pourquoi l'enseignant doit à tout prix être remercié par l'élève, car cela n'a aucun sens à mes yeux ! J'entends par là que ce n'est pas rendre service que d'appliquer le compagnonnage : c'est NORMAL.

Par ailleurs je trouve cela parfaitement odieux de réclamer une récompense à des adultes surexploités et gracieusement dédommagé de leur présence hospitalière par la modique somme de 200 euros par mois*.

Bref, de cette coutume en est née une autre tendance : le gâteau de la garde ! Dans de nombreux service l'externe doit impérativement apporter une pâtisserie. C'est évident voyons. Je suis payée 22 euros ma garde de 24h et j'ai très envie de faire un dessert à l'ensemble de l'équipe, qui une fois sur 3 ne me calcule pas-du-tout ! J'ai le nez dans mes révisions de partiels, je rentre deux soirs par semaine après minuits à cause des prépas, je tente d'ingurgiter mon poids en connaissances tous les jours en sortant de l'hôpital... mais je vais me lancer dans la préparation de scones au citron !

Vous l'aurez compris, je fais plutôt partie de ces chefs qui disent aux externes de ne rien acheter et de faire que s'ils en ont envie.

Cette tradition ancestrale ne m'a aucunement gênée lorsqu'elle faisait partie d'une véritable organisation dont l'objectif était de rendre la garde conviviale : tout le monde apportait sa contribution et j'avais plaisir à en faire de même. Interne, j'ai également offert quelques bouteilles à ceux qui avaient eu la patience de me céder une intervention, un geste complexe.

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Toutefois je me souviendrais toujours de certaines situations grotesques et humiliantes :

Celle ou le Dr Golden s'est payé ma pomme parce que j'avais eu le malheur de ne pas lui faire de cookies alors que lui m'offrait les collations de l'APHP (oui, je parle des sandwichs triangles immondes, qui traînent dans les salles de détente) :

« C'est un gâteau, ou une gâterie en garde ! A toi de voir ! »

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La fois où, ayant laissé ma boîte de madeleines dans les vestiaires par ce que Mme Gala l'infirmière d'orthopédie m'avait conseillé de la ranger là. J'avais alors découvert le soir que j'étais une bonne pomme, ayant retrouvé mon Tupperware vide à-même le sol.

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Les gâteaux « pommes de discorde » c'est-à-dire la variation de mon investissement culinaire proportionnelle à la gentillesse des encadrants.

« Et donc eux ils ont eu le droit à des crêpes ?

- Oui mais ils sont sympa, eux ! »

(et toc !)

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En somme, le dessert de l'externe c'est toute une histoire. Je connais même un chef qui tient un registre photographique de toutes les œuvres gourmandes apportées en garde. Ceci n'est pas une légende.

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Lexique du chapitre :

* oui 200 euros par mois, c'était mon salaire d'externe. Pour 20 heures hebdomadaires. Faîtes les calculs, ce n'est pas décents. La garde d'un externe était de 22 euros, ce qui ne faisait même pas 1 euros de l'heure. Et n'imaginez pas que nous n'étions que des plantes vertes observatrices. L'externe est un maillon indispensable dans le fonctionnement de la plupart des services. Ainsi cette rémunération honteuse ne se justifie aucunement dans le statut étudiant.

Petites tribulations d'une gynécologueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant