Les cadres qui servent de décors

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L'une des fonctions les plus difficiles à l'hôpital public, reste celle de cadre. Souvent il s'agit d'anciens soignants, qui se sont reconvertis pour l'administratifs. Malheureusement, certaines personnes oublient totalement ce qu'ils étaient avant, et combien la charge de travail pour le personnel hospitaliser peut s'avérer massive, fatigante, humiliante.

En 13 ans de pratique dans les hôpitaux publics, j'ai eu l'occasion de croiser le chemin de quelques spécimens.

Mme Poireau était cadre dans l'un des plus grands services d'urgence de l'Ile de France. J'y effectuais mon stage de « soins infirmiers ». Il s'agit d'un stage obligatoire de 4 semaines en 2e année d'étude de médecine (P2), qui permet aux étudiants ayant fraichement passé le concours, de mettre un pied à l'hôpital pour la première fois. Je me souviendrai éternellement de ce mois d'avant-goût. C'est le moment où l'on prend conscience de ce qu'est le métier d'agent hospitalier (honnêtement, on passe le concours de 1ère année sans en connaître les tenants et aboutissants !). Je fis la connaissance de Mme Poireau assez tôt au cours de ce stage.

Avant de poursuivre, je tiens tout de même à préciser que les autres personnes rencontrées durant ce mois furent toutes exceptionnelles ! Aides-soignants, infirmiers, internes... une majorité prit le temps de me former malgré l'activité intense des urgences, me protégea des situations difficiles, me montra combien on pouvait travailler dans la bonne humeur... Involontairement ils confirmèrent ma décision de devenir médecin. Merci à eux.

Revenons à Mme Poireau. Je ne connais pas le parcours de cette quarantenaire. Je l'imagine pénible car cela m'aide à comprendre. De toute évidence, Mme Poireau avait une dent contre les médecins et tout ce qui pouvait s'en approcher... y compris l'ignorant étudiant de 2e année. Ce que Mme Poireau fit subir à mes compères et moi n'est rien d'autre que du bizutage.

Quelques précisions au passage : le but de ce stage est d'apprendre les soins infirmiers et accompagnants. Je suis convaincue de l'intérêt de ce stage. Il apprend l'humilité à certaines grosses chevilles. Il permet de découvrir tous les rouages de l'hôpital, de comprendre que nous sommes une équipe, que tout le monde a son rôle et que le médecin n'est rien sans les autres.

Néanmoins il n'existe pas de carnet de stage ou autre, listant les objectifs. Par conséquent, cette formation devient rapidement n'importe quoi en fonction des services d'affectation. Si vous débarquez en gériatrie, vous passerez 4 semaines à changer les octogénaires ou délivrer des repas. Si vous êtes lâchés en consultation, vous deviendrez un as du rangement de dossiers...

Bref Mme Poireau profita larga mani de la situation.

Je ne bronchai pas lorsqu'elle nous demanda de tartiner les patients d'ASCABIOL (produit pour la galle), car c'était un soin. Je ne dis rien non plus quand elle exigea que nous aidions un SDF à prendre sa douche, car c'était également un acte paramédical. Une autre fois elle s'adressa à moi avec la douceur d'un pitbull planté dans un tibia :

« Vous là, prenez donc des verres d'eau pour les distribuer en salle d'attente !»

Je ne voyais pas du tout le rapport avec la choucroute ! Et puis c'était les urgences générales par un hall d'hôtel club med ! Je partis en lui répondant que je n'avais pas le temps et que certaines personnes devaient peut-être rester à jeun.

Un jour, un jeune homme arriva en salle de déchoquage* la figure en sang. Une histoire sordide de coup de couteau pour une vente de cigarettes à la sauvette. Le pauvre gars avait littéralement le nez tranché en deux. Tout le monde s'afférait autour de lui. On le perfusait, on le prélevait, on l'examinait, on l'oxygénait... Je ne voulais rien rater de ce balai médical. L'un de mes collègues était avec moi. On essayait de ne pas gêner. J'aidai à apporter des champs et compresses.

Petites tribulations d'une gynécologueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant