Contrôle Z

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Ces moments où vous aimeriez revenir en arrière, tout rembobiner pour rejouer l'action, supprimer les erreurs. Parfois j'aimerais que la touche « contrôle Z » (=effacer) existe dans la vraie vie !

***

Huit heures du matin, Mme Grenade entra dans la fraîche salle d'intervention. Son corps frêle paraissait noyé sous la couverture chauffante. Les différents éléments de surveillance anesthésique et la perfusion furent rapidement posés par des mains expertes.

Puis quelques minutes d'hypnose conversationnelle suffirent à l'emmener à Madagascar. Et à mesure que les produits hypnotiques d'un blanc laiteux coulaient dans ses veines, ses doigts desserrèrent progressivement leur prise sur ma main. C'était le signal : à nous de jouer !

Mme Grenade était une de ces patientes « rayon de soleil » dont je vous ai précédemment parlé. A peine âgée 30 ans, elle souffrait d'une endométriose depuis plusieurs années. La priorité du couple étant initialement tournée vers la grossesse, ils avaient essayé plusieurs centre de PMA*. Mais toutes les tentatives de FIV* furent infructueuses. Éreintée par ce parcours vain, Mme Grenade avait choisi de faire une pause et de s'occuper de ses douleurs. C'est dans ces circonstances que nous fîmes connaissance. Notre deal thérapeutique : traiter l'endométriose chirurgicalement pour potentialiser les chances de grossesse spontanée en apportant le confort en plus.

La chirurgie prévue ce jour-là n'était pas des plus complexes. Il nous fallait explorer l'abdomen de ma patiente avec une petite caméra introduite au niveau de l'ombilic, pour secondairement détruire ou réséquer les lésions d'endométriose. L'imagerie réalisée chez ma patiente en préopératoire (IRM* notamment) avait décelé une zone pathologique en arrière de l'utérus. La zone cible que je m'apprêtais à traiter, rien de plus. Mais il existe un adage bien connu dans le métier, et qui prit tout son sens quelques minutes plus tard :

« Il n'y a pas de petite chirurgie ».

Pour glisser la fameuse caméra à visée exploratoire et les instruments chirurgicaux, nous utilisons un guide creux que l'on nomme trocart. Cela nous permet d'opérer directement dans le ventre via de petites incisions et sous contrôle de la caméra. L'un des temps à risque demeure la mise en place de ces trocarts, qui peuvent s'apparenter à de véritables pieux métalliques.

Les champs opératoires avaient été déployés comme les rideaux pourpres d'un décor de théâtre. La check-list avait été réalisée consciencieusement en présence de tous les acteurs. Le scialytique faisait office de projecteur, inondant la scène chirurgicale de sa lumière blafarde. J'observais attentivement mon interne mettre en place le premier trocart : celui de la caméra. L'angle qu'elle faisait avec son bras n'était pas optimal, alors je le corrigeai en baissant doucement son coude.

« Fais gaffe, elle est toute mince, m'entendis-je murmurer »

Mais son bras repris la position initiale et elle inséra le trocart brusquement. Je vis le mandrin faire un ressaut qui ne plut pas du tout.

« Je crois que je ne suis pas dedans, commenta mon interne.

- Je peux prendre ta place pour vérifier s'il-te-plaît, grimaçai-je sous mon masque.

- Oui, oui bien sûr ! »

J'insérai rapidement l'optique. Nous nous trouvions bien dans le ventre. Néanmoins une nappe de sang attira immédiatement mon attention.

« Tout va bien chez vous ?, demandai-je promptement à l'équipe d'anesthésie.

- Oui rien à signaler, les constantes sont bien, assura l'infirmier.

Petites tribulations d'une gynécologueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant