Les bons, les brutes, et les truands

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J'ai tristement constaté en faisant des recherches sur la toile que le mot « violences » était préférentiellement associé à l'adjectif « gynécologiques » sur Google. Premier du podium devant le qualificatif « conjugales » ! J'ai honte mais ne suis pas véritablement surprise. Il faut dire que les pratiques plus qu'inacceptables de certains gynécologues, récemment dévoilées via le prisme des réseaux sociaux et largement relayées par les médias, ont participé à ces tristes statistiques.

Je suis Gynécologue-obstétricienne, je demeure avant tout une femme, j'ai déjà été patiente, je reste médecin, et je serai un jour mère... Alors oui je comprends les témoignages que je lis. Ces gestes douloureusement inappropriés, ces paroles cruelles, ces commentaires misogynes ou grossophobes, incarnent l'opposé de mes idéaux de praticiens.

Je suis partagée quant aux évènements récemment rapportés de maltraitances gynéco-obstétricales. D'un côté je les condamne tout autant que je les combat chaque jour. D'un autre, cette tendance à "enfin tout dire et surtout le pire" me dérange et m'effraie. Car si certaines pratiques arriérées sont à bannir définitivement, qu'en est-il de celles qui sont régulièrement mal jugées et conduisent à une méfiance des patientes ?

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Le meilleur exemple pour illustrer mon dilemme de soignant est l'épisiotomie. Il s'agit d'une incision cutanéo-musculaire de 3-4cm, réalisée en fin d'accouchement, pour préserver les structures nobles du périnée maternel (et éviter les séquelles fonctionnelles) ou pour accélérer la naissance de l'enfant lorsqu'il nous donne des signes d'alarme sur son bien-être.

Expliquée comme cela, rien ne choque. Pourtant, ce geste enflamme encore les réseaux sociaux et les blogs.

"Je ne voulais pas d'épisiotomie, j'avais prévenu l'hôpital. Mon accouchement se passait très bien, mais le gynécologue a tenu à en faire une. J'ai protesté, ça n'a rien changé." Mme Carotte.

C'est terrible de lire cela ! Mais je m'interroge. Est-ce que l'accouchement se passait si bien que cela ? Qui dit épisiotomie, dit également suture. Par conséquent, une épisiotomie ne fait pas « gagner du temps » au médecin ou la sage-femme la pratiquant. Donc si elle a été réalisée c'est qu'elle apportait un bénéfice. J'ai le sentiment que le manquement principal des soignants dans cette anecdote semble être la communication.

Soyons transparents : personne ne « veut » d'épisiotomie Madame. Mais aucune femme n'accepterait un préjudice esthétique ou fonctionnel post accouchement. Et aucune mère ne tolèrerait que son enfant ait été négligé au profit de deux centimètres carrés de peau. Alors comme ce geste est nécessaire, il nous faut l'anticiper, l'expliquer, joliment le réparer, puis évaluer sa tolérance. De fait, je n'ai jamais rencontré de difficulté au cours de mon internat puis une fois devenue chef.

Alors évidemment il nous faut prévenir les situations à risques d'incongruence. Par exemple, Mme Vigne, dont le projet de naissance s'apparente à une rêverie elfique :

« Je voudrais que mon enfant naisse un jour pair, si possible avec lune au 3e décan, qu'il reste lié à moi via son cordon pendant une demi-journée, qu'on le pose sur ma peau mais seulement s'il est propre et sent la pâquerette, que les hirondelles fassent une natte en osier au-dessus du berceau....ah non mince ça c'est Disney ! Mais surtout que l'on ne touche pas mon sacré saint périnée ! »

Lorsque le projet de nos patientes consiste à rejeter en masse tout ce qui s'apparente à de la médecine et que le dialogue demeure impossible. Il vaut mieux les laisser rejoindre des structures de soins plus appropriées aux désirs.

Ce genre d'endroits où l'on accepte de ne pas suturer les plaies, pour que ce soit « plus naturel ». Vives les cataplasmes d'argile ! Ces lieux effrayants où les mères frôlent le désastre parce qu'on néglige les saignements. Ces contrées obstétricales où manger dans une assiette en porcelaine est plus important que la sécurité maternelle ou infantile.

Désolée je n'ai pas fait option « charlatanisme », alors je ne peux pas comprendre. Mais qui sont les vraies brutes dans cette affaire ???

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J'ai gardé en mémoire un certain nombre d'exemples de violences que je refuse d'oublier. Pour que ma pratique s'en éloigne le plus possible.

- Mme Ail chez qui on effectue un examen gynécologique sans aucune délicatesse ni parole réconfortante, à la recherche de lésion endométriosique. Petite particularité de cette foutue maladie : lorsque l'on touche la zone pathologique, cela déclenche des douleurs. Et je vois encore les larmes silencieuses de Mme Ail rouler le long de ses joues tandis que ses yeux se fermaient pour mieux occulter la souffrance. C'est alors que le Professeur lâcha avec mépris un « mais enfin vous n'êtes pas une enfant, il faut arrêter de pleurer comme ça ! ». A défaut d'être empathique, monsieur le grand médecin n'avait pas oublié d'être c.. !

- Mme Cannelle, qui fut humiliée au cours d'une visite professorale. On lui confia qu'elle avait bien de la chance qu'un chirurgien s'occupe d'elle, compte tenu de son poids frisant l'indécence. Mme Cannelle avait pris 30 kilos sur la dernière décennie à cause des traitements qu'on lui avait prescrits. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle s'était enfin décidé à faire le grand saut vers la chirurgie. Emprisonnée dans son corps, qu'elle percevait comme une véritable enveloppe étrangère, elle misait tout sur son intervention. Et la veille du grand jour, on lui rappelle douloureusement la vérité, via des appellations zoologiques totalement déplacées. Le seul animal ce soir-là était le porc dissimulé par sa blouse !

- M Rose, qui fut volontairement oublié par l'infirmière tout au long de la journée, parce que ses orientations sexuelles le rendaient moins « fréquentables ». M Rose avec qui on prenait plus de précautions pour les gestes médicaux car « il devait bien avoir une saloperie d'infection liée à son état ». M Rose qui supportait tout en silence, alors que moi je voyais noir !

Nous ne sommes pas tous des obsédés, des malhonnêtes, des imposteurs à notre pratique.... Nous ne sommes pas tous ces "brutes en blanc" que dénonce Martin Winckler. Nous essayons de faire au mieux, de bouleverser les traditions mandarines, et ce n'est pas toujours simple ni bienvenu. Sachez en tout cas que la gynécologie dénombre plus de bonnes personnes qu'elle ne compte de brutes ou de truands ! 

Petites tribulations d'une gynécologueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant