Garde-à-vue et gare à vous !

28 5 1
                                    


Aux urgences gynécologiques on nous demande parfois de faire des certificats de non contre-indication à une garde-à-vue. Soyons clairs cela embête tout le monde.

Lorsqu'une jeune femme crie haut et fort qu'elle est enceinte et qu'elle va accoucher dans sa cellule, les officiers de polices n'ont pas d'autre choix que de nous l'amener. Il nous faut alors confirmer le terme annoncé par la patiente et nous assurer qu'il n'y ait aucune anomalie majeure incompatible avec un séjour de 24h à l'ombre des barreaux. L'objectif étant de ne pas prendre de risque pour la patiente et l'hypothétique enfant à naître.

Je vous annonce déjà un peu la couleur avec la formulation « hypothétique ». Les statistiques se jouent de nous :

- une fois sur deux, la patiente n'est même pas enceinte.

- une fois sur trois, elle refuse l'examen.

- une fois sur quatre, la barrière de langue rend l'interrogatoire médical caduc.

- une fois sur cinq, elle nous regarde avec hostilité comme si nous étions de mèche avec le gardien de la paix...

Pourtant il existe de vraies situations requérant une interruption de la procédure de garde-à-vue.

Je me souviens notamment de cette jeune mère qui avait déjà effectué 10 heures en cellule et qui était arrivée aux urgences avec un engorgement mammaire* pleurant de douleur. Cela faisait 3h que les flics du commissariat avaient demandé à amener la suspecte aux urgences, mais les procédures sont toujours très longues. Ô joie de l'administration française ! Nous l'avions finalement gardé le temps de la soulager et de mettre en place le tire-lait. Les deux agents de police étaient donc restés devant la chambre jusqu'à la fin de la garde-à-vue comme le protocole l'exigeait, troquant leurs inconfortables chaises de bureau contre nos vieux fauteuils hospitaliers. Un rien nous diffère.

***

Il y a aussi ces garde-à-vue interrompue intelligemment par le détenu qui va ingurgiter un objet potentiellement nocif. Par exemple une clé ! Et puis n'oublions pas les escortes de la brigade des stupéfiants lorsque les mules passent au bloc opératoire pour extraire une à une les boulettes illicites de l'origine du monde...

***

J'ai un autre moment de solitude à vous narrer. Un soir de garde nous nous apprêtions à passer à table, chacun ayant terminé l'ensemble de ses petites missions (c'est assez rare de réussir à se coordonner !). Brusquement, l'infirmière d'accueil des urgences vint nous trouver.

« J'ai la police pour 2 patientes G.A.V (acronyme de garde-à-vue sur nos registres) »

Je jetai un regard plein de compassion à mon interne qui reposait déjà son burger en soupirant. Comme je trouve toujours ces situations délicates, je me décidai à l'escorter pour voir exactement de quoi il s'agissait. Nous fûmes donc plantées devant deux grands gaillards en uniformes, deux jeunes femmes menottées et un jeune homme à lunettes qui s'avérait être l'interprète.

Les deux interpellées disaient être enceintes. L'une d'elle ne pouvait pour ainsi dire, pas le dissimuler. J'évaluai son terme à 8 mois facile en scrutant son ventre arrondi.

« On a un problème, nous avoua rapidement l'un des jeunes flics.

- C'est-à-dire ?

- Les deux refusent d'être examinées.

- Jusqu'ici rien de très surprenant, commentais-je en haussant les épaules.

- Oui sauf que celle qui est enceinte (sous-entendu l'autre on ne sait pas) nous dit avoir perdu du liquide. Et c'est sa copine qui lui dit de ne rien faire, détailla alors l'interprète. »

Mon interne me lança un regard perdu, et je me pinçai l'arrêt du nez. Les burgers allaient être froid c'est sûr !

« Est-ce que vous pourriez lui dire, que l'on veut simplement vérifier que son bébé va bien ?, fis-je à l'interprète ».

Parfois le chantage affectif fonctionnait. Il transmit aussitôt dans une très jolie langue en roulant des « r ». La principale intéressée jeta alors un regard hésitant à son « amie » qui secoua vivement la tête de droite à gauche en plissant le front. Pas besoin de traducteur pour comprendre ce qu'il se passait. Sa compagne de galère l'encourageait à faire blocus afin que la garde-à-vue soit levée pour elles-deux.

« Bon on va faire simple, vous pouvez dans tous les cas ramener celle-ci au poste, décidais-je en désignant la revendicatrice.

- Vous êtes sûre, demanda l'officier en dansant d'un pied sur l'autre mal à l'aise.

- Son test de grossesse urinaire est négatif, donc je ne vois aucun obstacle médical au maintien de la garde à vue. Elle nous empêche d'évaluer sa copine, qui plus est. Et là c'est plus compliqué. Mais on prendra le temps qu'il faudra. »

L'un des flics passa une communication par talkie-walkie. Puis il nous fallut attendre du renfort afin de séparer les deux femmes: l'une des équipes devant demeurer à l'hôpital. Durant cette période d'expectative, mon interne essaya en vain de les convaincre d'accepter l'examen ou du moins l'échographie. Lorsque la première détenue fut renvoyée d'où elle venait, la femme enceinte s'adressa à l'interprète directement.

« Que vous a-t-elle dit ?, s'empressa de demander mon interne.

- Euh...Elle voudrait quelque chose à manger. »

J'entendis l'un des flics grommeler entre ses dents. Les pauvres policiers étaient condamnés à attendre la fin de la garde à vue dans le service. Je n'étais pas sûre qu'ils aient mangé eux. Ignorant volontairement la patiente peu coopérante je m'adressai donc aux officiers et à l'interprète :

« Seulement si elle accepte l'échographie et l'examen de la sage-femme !

Puis avec un petit sourire malicieux j'ajoutai :

- Mais si vous souhaitez quelque chose à grignoter vous,nos externes ont fait des gâteaux* ! »

***

Lexique du chapitre :

* engorgement mammaire: pour diverses raisons, l'allaitement maternelle peut parfois se compliquer d'une engorgement. La production de lait est plus importante que la consommation (par exemple dans ce cas de figure, la patiente n'avait pas pu donner le sein) et le sein est donc trop "plein". Cette complication est non seulement très douloureuse mais peut aussi générer une surinfection allant jusqu'à l'abcès en l'absence de prise en charge.

* gâteau des externes: cf chapitre "le meilleur pâtissier" 

Petites tribulations d'une gynécologueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant