Violence

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Être soignant, c'est aussi être exposé à la violence.

Cela peut se manifester par la brutalité de la maladie, la sévérité d'un pronostic et ses conséquences inacceptables. Violence impersonnelle et passive, que l'on apprend au fil du temps à parer. Mais la violence se caractérise aussi via les innombrables interactions humaines : du simple emportement verbal (insulte, menace), à l'agressivité physique (coups, dégradation de matériel), sans oublier les harcèlements sexuels ou l'intimidation. Bien que les langues se délient de plus en plus à ce sujet, beaucoup de soignants gardent cela pour eux. 

La situation la plus difficile au moment où j'écris (car j'imagine en connaître d'autres dans ma pratique future) se déroula en consultation lors de ma première année de chef. Nous étions un vendredi après-midi, en fin de journée, et je n'avais que dix minutes de retard (au risque de vous surprendre). Malgré cela, c'est moi qui attendais la dernière patiente : Mme Noix.

Je sentais la migraine s'installer progressivement dans ma petite pièce noyée par la lumière artificielle des vieux néons. Pour m'occuper, je décidai alors de me plonger dans l'historique de cette retardataire. C'est avec un certain agacement que je m'aperçus ainsi que Mme Noix était une récidiviste de l'absence non justifiée. Avant notre consultation elle avait déjà manqué 4 autres rendez-vous. Quand on pense aux délais imposés aux autres patientes, Mme Noix me les brisait légèrement...

Mes yeux se posèrent à nouveau sur l'horloge de l'ordinateur : 25 minutes de retard. Etant donné l'issue des précédents rdv de Mme Noix, je capitulai et commençai à ranger mes affaires, éteindre les logiciels, vider les poubelles...tout en maudissant ma patiente fantôme.

J'avais totalement terminé de vider le box, lorsque le couple Noix a pointé le bout de sa coquille. Il y eut alors une sorte de flottement où, dans un silence glacial, je me contentai d'attendre une explication. Puis comme le couple était aussi loquace que ponctuel :

« Vous êtes Mme Noix ?

C'est Monsieur qui me répondit.

- Oui

- Vous êtes en retard.

- Ah oui. »

Aucune gêne dans la voix, pas le moindre embarras visible sur ses traits, ni même l'ombre d'une excuse. Je pris donc rapidement la décision de ne pas les recevoir. Cette fois-ci monsieur haussa le ton :

« Attendez, nous sommes venus !

- Oui mais votre rendez-vous avait lieu il y a 30 minutes, répliquai-je en tentant difficilement de garder une voix posée.

- Cela ne vous arrive jamais de vous pointer à l'arrêt de bus 30 minutes en retard, vous ? grogna le bonhomme avec un regard mauvais.

- Evidemment, mais le bus ne m'a pas attendu ! Et surtout c'est la cinquième fois que vous ne venez pas en consultation.

- Quoi ?! vociféra l'autre, mais nous n'avons jamais loupé de rdv ! »

Je tournai alors l'écran de mon ordinateur vers eux d'une main tremblante. On y retrouvait tous les anciens rendez-vous, et en italique rouge à chaque ligne « manqué ». Sa mauvaise foi me mit le feu aux joues. J'essayais de capter le regard de madame. Elle plissa le nez et à ma grande surprise rétorqua :

« Oui bah la gynécologie ce n'est pas notre priorité ! »

La réplique était cinglante. Son conjoint acquiesça avec un sourire satisfait. Mauvaise réponse à mon goût : j'éteignis définitivement mon PC, mon agrafeuse tomba bruyamment.

Petites tribulations d'une gynécologueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant