Une pause

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Septembre, stage de soins infirmiers aux urgences générales. Ce jour-là j'étais postée le matin et débutais donc à 7h. La petite montre gousset qui pendouillait à ma blouse indiquait 6h45 ce qui me fit prendre le chemin de la salle de repos. Alors qu'un café agrémenté de lait en poudre remplissait progressivement mon gobelet en plastique, je feuilletais consciencieusement mon carnet de notes. Chaque journée de ce stage s'avérait très enrichissante tant sur le plan théorique qu'au niveau relationnel. J'essayais tant bien que mal d'en mémoriser un maximum. Les couloirs des urgences paraissaient exceptionnellement calmes. Je rangeai soigneusement mon pense-bête pour saisir ma boisson. Le regard perdu sur les tâches d'humidité qui zébraient le plafond, je me brûlai le palais avec ma première gorgé. La journée commençait mal.

Nouveau coup d'œil au cadrant horaire : il me restait encore 10 minutes avant de me rendre en traumatologie. J'avais en effet échangé ma place avec l'un de mes co-stagiaires qui ne supportait pas la vue du sang. Gros handicap lorsque l'on vous catapulte aux urgences pour votre stage ! Me concernant, ce n'était absolument pas un problème. Bien au contraire, les sutures, les plâtres, et les manipulations orthopédiques me passionnaient. Je trouvais cela très satisfaisant. Les patients débarquaient en vrac, et nous d'un coup de bandage ou de fils, nous les réparerions. C'est un aspect que je retrouve aujourd'hui dans la pratique chirurgicale.

Néanmoins les consultations du matin en traumato présentaient un défaut majeur comparées à celle de l'après-midi : on y héritait davantage des piliers de bar, junkies, et autres décorations de trottoirs. Cette réflexion m'arracha un soupir de résignation. Je vérifiai une dernière fois le contenu de mes poches, attachai mes cheveux bien hauts pour qu'aucune frisette ne me chatouille en plein pansement, et me rendis vers l'unité de soins.

A l'entrée se situait une zone pour parquer les brancards. On y mettait souvent les patients en attente d'une radiographie ou autre examen. Ce matin-là, un seul couchage de fortune s'y trouvait, occupé par une silhouette endormie d'où s'échappait un ronflement sonore. J'empruntai le couloir qui longeait les box de consultation, tous inoccupés. En arrivant dans le bureau, je tombai sur l'interne de garde terminant sa nuit sur le clavier de l'ordinateur, éclairé par la seule lumière blafarde de l'écran et du négatoscope. Les infirmiers finissaient leurs transmissions en chuchotant un peu plus loin. J'entendis vaguement parler d'une oreille arrachée, obligeant l'aide-soignant de nuit à se changer entièrement. Ma tête devait être comique puisque l'une des soignantes me gratifia d'un grand sourire.

« Et oui, ce genre de chose ça arrive ici ! »

Alors que je m'interrogeais sur le sens de la normalité en médecine, des hurlements inhumains nous firent tous sursauter. L'interne décolla subitement son front de la table, manquant de peu de renverser sa tasse. Il se frotta vigoureusement les tempes.

« On a des nouvelles de la psy de garde ?

- Non, répondit simplement l'aide-soignant en déposant une radio sur le négatoscope.

- Jamais là quand on a besoin d'eux, pesta le médecin junior en détaillant les clichés.

Puis il tourna son regard éteint vers moi et pointa la photographie osseuse.

- Regarde mon poussin. Ça c'est la « fracture du con »* !

Il pointa le 5e doigt de la main avec son Bic.

- Manquait plus que ça, commenta l'infirmière, il va falloir qu'on lui fasse une attelle à présent !

Son collègue soupira.

- Cette fois-ci je demande à Fabrice de venir nous aider ! Hors de question de lutter avec ce type !

L'infirmière approuva vivement tout en se servant une tasse de café et en remplissant celle de l'interne.

Petites tribulations d'une gynécologueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant