Chapitre 1: Lluliana

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Il était là, devant moi, je n'avais rien vu venir. Au milieu de cette foule attirée par l'événement, nos regards s'étaient croisés. J'étais désespérée. Maintenant, le doute ne m'était plus permis et lui savait qui j'étais. Lui échapper m'était devenu impossible. La marque dessinée sur mon avant-bras en était la preuve. La masse se mut, il disparut.

Ce matin, c'était le jour que tout le monde attendait. En particulier les jeunes filles en âge de se marier. Aujourd'hui était le jour de la Comassion. La noblesse avait une manière particulière de choisir les époux et épouses. Pour nous, le peuple, le choix était libre. Certains parents préféraient arranger les mariages de leurs enfants, mais ce n'était pas très courant. Les jeunes de la noblesse n'avaient pas de pouvoir là-dessus. Leurs parents non plus. L'Histoire disait que cette tradition nous venait de plusieurs siècles en arrière, quand la famille royale avait été trahie par l'époux du roi en place. Depuis, afin que ce genre de situation ne se répète pas, les conjoints étaient sélectionnés grâce à une pierre. On racontait que cette pierre était celle que le roi d'alors avait utilisée pour trouver un nouveau conjoint après que le traître fut jugé et exécuté. Cependant, il était plus probable à mon avis que d'autres galets aient été enchantés au cours des années. Les rois Fidici et Saleng étaient devenus un couple de rêve. C'était la raison qui a fait que tout le monde veuille être choisi par la pierre. Les centaines de couples qui n'avaient pas eu la chance de vivre le bonheur de ces rois n'étaient pas parvenu à ternir la réputation de cette pierre. L'espoir de parents et enfants n'avait jamais diminué.

Des Comassions se déroulaient régulièrement dans le pays. Chaque personne portant un titre, aussi petit soit-il, le faisait lorsqu'elle atteignait l'âge de vingt et un ans et deux cent trente-trois jours (âge que le roi Fidici avait atteint le jour où la pierre lui avait donné un second mari). Le déroulement était simple. Parfois il était court, parfois, il durait des jours ou des semaines. Certains avaient même dû attendre près d'un an avant de retrouver leur partenaire. La jeune personne posait sa main sur la pierre au cours d'une cérémonie organisée par la famille. Au contact de la paume, la pierre lui enseignait comment reconnaître son prétendant. Mais il s'agissait d'un sentiment et non de l'image du visage ou du nom de son futur époux ou épouse. Au même instant, ce dernier ressentait qu'il avait été choisi. Je n'avais jamais discuté directement avec quelqu'un qui avait ressenti cette sensation, mais j'avais souvent regardé les interviews de ces gens et ils s'accordaient tous à dire que c'était indescriptible. On le savait, c'était tout. Le ou la jeune noble quittait tout de suite la fête pour se rendre dans les villes. C'était cette étape qui pouvait prendre quelques heures comme des mois. Muni de cette certitude intérieure, il ou elle devait retrouver sa moitié. « Lorsque leurs yeux se croiseront, leurs destins seront mêlés. » Le tatouage de l'union apparaissait quand ils se « reconnaissaient ». Les rumeurs disaient que le couple n'avait pas besoin de cette marque pour savoir que la personne en face était bien celle choisie par la pierre.

La Comassion d'aujourd'hui était un peu spéciale car c'était celle du prince Thysen, premier prince et troisième héritier. Je ne savais pas ce qui attirait le plus les gens : sa vie de rêve ou son beau visage et ses aptitudes en magie. Son voyage de reconnaissance serai sûrement long étant donné sa popularité.

Ma famille se réunit à l'heure de la cérémonie. Ma grande sur, son copain, mes parents et moi étions au salon devant le cristal qui nous rapportait en direct les faits qui se déroulaient à la capitale. Les deux surs aînées du prince Thysen avaient eu droit à ce genre de cérémonie grandiose. Dans la salle de réception, des centaines de convives arboraient leurs plus belles tenues. Au fond, je distinguai une longue table recouverte d'une nappe rouge où des plats étaient disposés. Des plateaux lévitaient dans la salle pour servir les invités, alors qu'un orchestre jouait des musiques entrainantes sur lesquelles les gens dansaient ou discutaient. C'était une vision à laquelle nous étions habitués. La plupart des événements royaux étaient diffusés, cette salle et ces gens ne me paraissaient pourtant pas tout à fait vrais. Comme s'il s'agissait d'un film. Le copain de Varda, sensible à la mode, donna son avis sur les robes, les costumes et les coiffures des invités. Contrairement à lui, je ne pouvais pas tous les qualifier de « chefs d'uvres » - pour reprendre ses mots - mais il fallait dire que beaucoup d'entre elles faisaient rêver. Je faisais bien sûr partie des gens qui avaient au moins une fois dans leur vie imaginé ce que serait la vie de l'autre côté de ce cristal.

Un présentateur s'adressa à nous. Il se présenta, nous souhaita la bienvenue, expliqua où en était la cérémonie et s'interrompit au milieu d'une phrase quand le roi et la reine en place entrèrent dans la salle, accompagnés de leurs enfants uniquement - au nombre de cinq c'était déjà une bonne petite troupe.

— Voici la famille souveraine qui fait son entrée. Pour l'occasion, l'héritière a laissé sa place aux côtés de ses parents à son jeune frère, le prince Thysen. Le roi va maintenant prononcer un discours en ce bienheureux jour !

Le roi se plaça au centre de la scène, les membres de sa famille en retrait. Le présentateur quant à lui avait complètement disparu du champ de la caméra.

— Chers convives et amis, je vous remercie d'être présents pour la Comassion de mon fils. C'est un grand jour pour lui et nous sommes fiers et heureux de le voir marcher dans les pas de ses ancêtres. Je voudrais également remercier les spectateurs qui suivent cette cérémonie depuis leur maison, de nous accorder un peu de temps de votre soirée ! La famille royale et moi-même sommes impatients de rencontrer la personne qui accompagnera le prince Thysen à partir daujourdhui. Nous nous réjouissons de l'accueillir parmi nous.

La foule applaudit. Notre souverain attendit patiemment le retour du silence pour continuer :

— Mon fils (ce dernier avança), tu as atteint maintenant tes vingt et un ans et deux cent trente-trois jours, il est temps que tu rencontres la personne qui partagera ta vie. Je t'en prie, va et écoute la pierre.

Du coin de l'il, je vis ma famille complètement absorbée. Toute la matinée, elle sétait rappelé les années précédentes, quand les princesses Nahnko et Isola avaient effectué leur propre Comassion. A présent, le salon était silencieux. Je m'enfonçai un peu plus dans les coussins. Je redoutais déjà le moment où ce serait terminé. Car alors nous ferions des commentaires sur la décoration de la salle, les habits et actions des invités, et cela pendant des semaines. C'était un jeu auquel ma sur et moi nous nous prêtions avec plaisir. Pourtant, ce soir, j'avais la boule au ventre. Peut-être bien parce que je faisais partie de la tranche d'âge à laquelle l'élue était susceptible d'appartenir. Je reportai mon attention sur l'image de la salle de réception. Le prince Thysen avait traversé la pièce et se tenait désormais devant la pierre enchantée. La tradition voulait que personne ne voie son visage lorsqu'il la touchait. Personne ne devait voir ce moment car il ne devait être partagé par le couple uniquement. Un peu d'intimité aux milieux d'invités et de caméras. Nous ne voyions donc que son dos.

Et là, je la ressentis. Je ressentis cette sensation qui me chuchotait que c'était moi qui étais liée à lui. Mes yeux étaient toujours rivés sur limage du cristal, mais je la distinguais à peine. Je me concentrai sur ce sentiment. Plus j'essayais de le saisir, plus il s'amenuisait. Quand Thysen se retourna, un sourire aux lèvres, c'était le calme en moi. C'était vide, plus de sensation. Était-ce vraiment moi qui avais été choisie ou avais-je inventé ?

Nous regardâmes le premier prince quitter la fête avec une escorte. Le présentateur acheva l'émission sans tarder. Une fois que le ou la jeune noble était partie en quête de sa moitié, plus personne ne s'intéressait à la fête, alors continuer à la diffuser serait inutile. Ma sur avait plaisanté un jour en disant que la véritable raison était que les nobles ne voulaient pas montrer au pays entier la déception de leurs enfants quand ils nétaient pas élus. Peut-être n'avait-elle pas tort. En arrière-plan, j'avais remarqué une fille s'effondrer en larmes.

Plusieurs jours passèrent. Nous n'avions même pas besoin d'entendre les nouvelles du prince par les informations diffusées par le cristal car le bouche à oreille était bien plus rapide. Pour le moment, le prince Thysen n'avait pas reconnu sa promise. Comme je l'avais imaginé, des dizaines et des dizaines de filles se présentaient à lui dans les villes et village assurant avoir été choisies pour lui. Des hommes tentèrent leur chance également. Aucun moyen technologique ou magique ne permettait de vérifier si ces personnes avaient effectivement ou non ressenti ce mystérieux sentiment. La seule manière de procéder possible était que le prince les regarde dans les yeux. Pour ma part, je n'avais parlé à personne de cette sensation, persuadée que j'avais rêvé. Pourtant, même si j'essayais constamment de l'oublier, à chaque nouvel échec du prince, la même question me revenait : « Et si cétait vraiment moi ? ».

Sa prochaine destination était notre ville. Je devais me décider à aller le voir ou non. Je ne voulais pas. Que je sois ou non la personne qu'il recherchait.

La couronne d'EdymontOù les histoires vivent. Découvrez maintenant