Je fus seule dans l'immense lit à mon réveil. Thysen était assis sur la terrasse. Elle n'était pas très grande, juste assez pour profiter du soleil en privé. Il m'avait pris un thé et s'assura que la boisson me convenait quand il me vit à la porte. Nous rejoignîmes la famille pour le petit-déjeuner, du moins en partie car les parents ainsi que les beaux-frères de Thysen étaient partis travailler. Risa et moi commençâmes ensuite mon programme. La création de ma nouvelle garde-robe fut moins terrible que ce que j'avais imaginé. Parce que j'avais un mot à dire sur le style de vêtements que je désirais. La plus longue partie fut celle où un assistant me mesura sous toutes les coutures. Une coiffeuse s'occupa aussi de mes cheveux. Elle les raccourcit. Le résultat était joli, j'étais contente d'avoir suivi son conseil. La dernière étape avant le dîner fut de choisir une tenue pour le soir. Risa y prit part.
L'après-midi fut long. Je n'avais jamais été patiente en cours pour tout ce qui relevait de la théorie. Je préférais de loin la pratique. Premièrement parce que je me sentais plus active et deuxièmement parce que je retenais mieux. Malheureusement, mon professeur ne m'autorisa pas à bouger d'un centimètre. Je fis de mon mieux pour retenir toutes les règles. Je ressentis comme une délivrance lorsqu'Akki vint me chercher.
L'heure du bal arriva rapidement. A peine le temps que l'on me coiffe, me maquille, m'habille et les carrosses attendaient devant le palais. Je ne dansai que très peu. L'ouverture, puisque c'était la tradition que tous les couples rejoignent la piste de danse, deux danses avec Noska, le mari d'Isola, et une dernière avec elle-même. Thysen ne semblait pas être ravi d'être là, alors je n'osai pas lui proposer d'être mon partenaire. J'observai les autres convives. Pendant un moment, j'oubliai que je ne regardais pas un cristal depuis le salon de mes parents. Que rien de plus que de l'air ne me séparait de ces gens. J'accordais une grande attention aux manières des personnes. Je marchai autour de la piste de danse. Je ne me sentais pas à papoter avec les gens. Leur attitude, je doutais un jour parvenir à les imiter. Car jamais je ne pourrais me comporter de la sorte naturellement. Princesse Lluliana, épouse du premier prince, Thysen, ce n'était pas vraiment moi, sans pour autant être un rôle, une autre personne. La jeune Pryi que j'étais n'avait pas sa place ici. Un jour seulement loin de ma maison avait suffi pour me remettre en doute.
Je continuai mon tour. Un groupe un peu à l'écart attira mon attention. Six ou sept personnes me fixaient. Je les aurais remarqués les yeux fermés tant leurs regards étaient insistants. Ne me trouvant qu'à quelques mètres deux, j'entendis leur discussion :
— C'est la femme du prince Thysen, je les ai vus danser ensemble tout à l'heure.
— Pauvre prince, tomber sur une fille du peuple. En revanche, elle a été bénie de pouvoir ainsi entrer dans la famille souveraine alors qu'elle est de basse extraction. La pierre aurait dû me choisir, je conviendrais cent fois plus à notre beau prince.
— Regardez-là se pavaner. Elle est à peine arrivée dans notre monde et elle croit surpasser ceux qui y ont vécu depuis l'enfance !
Une image de gobelins en grand apparat me détourna de la discussion. Je repérai Risa près des musiciens et je souris à sa blague. Risa me tira sur la terrasse extérieure.
— Porter une couronne attire autant d'amour que de jalousie. Le fait que tu ne sois pas née noble n'est qu'un prétexte pour ce genre de personnes. Peu importe ton rang, ils auraient trouvé quelque chose à critiquer, alors ne le prends pas à cur. Tu verras qu'avec le temps, ça devient de plus en plus facile de les ignorer.
J'acquiesçai. J'étais bien consciente de tout ceci, mais il y a le rationnel et l'émotionnel. Ces mots me hantèrent toute la fin de la soirée. Les derniers phrases auxquelles je pensai avant de sombrer dans le sommeil furent celles-ci et les premières à me venir à l'esprit le lendemain matin furent les mêmes. Durant les semaines qui suivirent, ils me traversaient souvent l'esprit. Parfois je n'y prêtais que peu d'attention, d'autres fois, je me retrouvais plongée dans un cercle vicieux.
Je m'accoutumai bien à ma nouvelle situation. Risa et moi étions devenues proches et le reste de la famille m'avait acceptée parmi eux. Je n'étais plus ni l'étrangère, ni la nouvelle venue. J'osais donner mon avis sur certains sujets politiques. Mon emménagement définitif avait été fait dans la semaine de mon mariage. Ce n'était pas de tout repos de faire partie de la famille souveraine. Il y avait évidemment d'énormes avantages, cependant, les journées étaient longues et intenses. Lorsque je regardais cette famille à travers le cristal du salon, je ne me rendais pas compte de la charge de travail qui pesait sur chacun d'eux.
Thysen et moi fûmes particulièrement demandés étant donné que notre statut avait changé. Tous étaient curieux de notre relation. Moi la première. Je ne savais pas comment nous qualifier. Thysen n'était pas froid envers moi, mais pas non plus affectueux. J'avais l'impression d'être une collègue plus qu'une épouse. Une vie entière à être scrutée par les gens lui avait aussi appris à garder un visage neutre. Je ne pouvais pas utiliser mon don sur lui - ni sur le reste de la famille - car j'avais fait la promesse ne pas l'utiliser sur eux. J'étais tentée de le faire, mais je savais que s'ils me surprenaient, je perdrais sans doute pour toujours leur confiance. J'avais envie de croire que Thysen finirait par me révéler ses sentiments. Il ne le fit pas. Que ce soit de l'amour, de l'amitié ou n'importe. Je devais reconnaitre que je navais pas fait le premier pas non plus malgré que mes sentiments étaient très clairs dans mon cur. Sans m'en rendre compte, j'avais passé du fantasme à un amour sincère. Oui, j'étais tombée amoureuse de lui. Ce fut à ce moment que les paroles des nobles à la fête d'anniversaire de mariage de la tante furent les plus fortes dans mes pensées.
Puis vint le moment que je redoutais le plus depuis mon arrivée : l'interview. Nahnko, Isola et leurs maris l'avaient réalisé, je n'y couperais donc pas. Je regardais souvent ces entretiens avec Varda. Je m'étais même imaginé ce que je répondrais à leur place. Aujourd'hui, j'aurais enfin une réponse honnête. Heureusement, ce n'était pas du direct, je n'aurais pas à faire face à ma famille cet après-midi après qu'elle ait vu cette interview.
— Princesse Lluliana Abredringa, anciennement Pryi, nous ne savons pas grand-chose à votre sujet, me confia la cristalline, cela fait pourtant un mois et demi que vous êtes mariée au prince Thysen. Vous habitiez à Vizulk, y avez-vous toujours vécu ?
J'étais assise dans un grand fauteuil au bois blanc. L'utilisation du passé dans sa phrase me mettait mal à l'aise. Non pas parce que je ne m'y étais pas habituée. Au contraire, je l'étais totalement et c'était rapidement fait. C'était justement cela qui était étrange.
— Oui, mes parents se sont installés là-bas après la naissance de ma sur.
— Pouvez-vous nous en dire plus sur votre famille.
Pendant les heures qui suivirent, je répondis aux questions en gardant en tête les conseils que la famille de Thysen m'avait donnés. Donner juste ce qu'il fallait d'informations. Arriva ensuite une question qui m'avait tourmentée :
— Princesse Lluliana, êtes-vous heureuse d'avoir épousé le prince Thysen ?
— Non.
— Oh ! Ne vous entendez-vous pas ? me coupa la cristalline, pressée d'obtenir un scoop.
— Non, ce n'est pas la raison. J'aurais préféré qu'il soit tout sauf prince.
— Intéressant ! Dites-m'en plus !
Je réfléchis un instant, je n'étais pas certaine que continuer était la bonne chose à faire. La femme ressemblait à un rapace prêt à fondre sur sa proie. Si je poursuivais, je risquais d'en dévoiler beaucoup. Pourtant, je savais que je ne pouvais pas me taire, j'étais allée trop loin pour rebrousser chemin. De plus, je n'en avais plus envie. Tout ce qui me torturait l'esprit depuis des semaines devait sortir. Puisque je n'étais pas capable d'en parler en face à Thysen, peut-être que de cette manière je pourrais le lui dire.
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La couronne d'Edymont
FantasíaLluliana Pryi est une jeune fille a grandi dans une famille ordinaire. Son quotidien est bouleversé le jour de la Comassion du prince Thysen - cérémonie au cours de laquelle une pierre enchantée désigne la personne destinée à être l'épouse du garçon...