Chapitre 2

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L'inconnu ouvrait la porte, portant encore son cigare entre ses lèvres. C'était un vieil espagnol qui les avait interrompus. Il se tenait tristement debout, juste en dessous du cadre rectangulaire de l'entrée, pourtant il ne la franchit pas. Il dit à la place, le ton tendre, compatissant, s'excusant pour un tort dont il n'était pas le détenteur : « James, je suis navré... tu dois partir sur le champ. Les nouveaux propriétaires ne vont pas tarder à arriver. Je suis tellement désolé...

- Combien ai-je encore ? demanda-il en expectorant de la fumée.

- Pas moins de dix minutes, hermano. »

L'homme se mit à remarquer Thomas, qui s'était silencieusement caché derrière les épaules de son mystérieux héros. Il lui jeta des regards curieux, rieurs, et taquina avec un sourire ravi : « Tu ne me présentes pas ton petit copain ?

- Tommy est de passage.

- Tommy ? de passage ?

- On se connaît depuis une heure, Jorge. Que vas-tu imaginer ? je ne saute pas sur tous les beaux gamins du quartier. »

Ledit James sortit de la grande ferme. Il voulut s'en aller, mais Jorge le retint avec embarras : « Tu sais au moins où tu vas aller, hermano ?

- J'ai l'habitude.

- Et ce projet, tu l'as toujours ?

- À voir.

- Et toi, fiston ? fit-il affectueusement à Thomas. As-tu plus de plan que ce fougueux ? »

James, qui souriait, roula les yeux. Il savait ce que son ami de longue date lui sous-entendait.

« Je ne sais pas trop... répondit finalement Thomas.

- Voilà la nouvelle équipe ! vous feriez un beau duo. »

James eut un rictus, donnant un bref regard à l'adolescent sans faire d'objection. Il réajusta sa casquette plate sur son crâne et conclut : « Mille merci, Jorge. Tu m'auras trop aidé.

- Je t'en prie, je t'en prie... tu es mon ami. sourit-il doucement. Tu refuses toujours quelques sous ?

- Tu sembles déjà avoir ma réponse.

- Très bien... Et toi, fiston ?

- Gardez votre monnaie, je vous remercie... rougit le garçon.

- Bien... c'est ici que nos chemins se séparent. Bonne chance, les jeunes. Vous me manquez déjà, le savez-vous ? Contacte-moi dès que tu le peux, James. Tu as mon numéro et mon adresse. Je refuse que tu me laisses sans nouvelles. »

Il s'éloigna avec un pas boiteux, disparut lentement dans les rues, désertes, sombres et étriquées. Thomas l'observait, bousculé par cette figure qu'il venait de rencontrer mais pour laquelle il avait éprouvé cette affection si particulière et si soudaine. Quand il porta ses yeux sur son nouveau coéquipier, il découvrit avec horreur qu'il s'était évaporé à son tour. Le jeune homme marchait déjà des mètres plus loin, sifflotant un air distrait.
Thomas le rattrapa en criant : « Eh, attends ! » Alerté par sa voix, James tourna la tête sans arrêter sa course. Ce fut à Thomas de l'empêcher d'avancer sans lui, demandant une fois à son niveau, entre ses respirations sèches et courtes : « Puis-je rester avec toi ?

- Je vous donne deux jours maximum dans les rues, à toi et ta jolie gueule.

- J'ai besoin de toi...

- Sois attentif à ces paroles, mon beau. Ce quotidien est très loin d'être fait pour toi. Je te conseille de retourner chez papa-maman et de te poser devant une série à la con. Tu y seras mieux. »

Étrangement vexé, Thomas se paralysa quelques secondes. Comment pouvait-il le mépriser de la sorte, lui qui ne savait rien ?

« Ils m'ont vraiment viré, je ne plaisantais pas, tout à l'heure. »

Il prit son bras pour l'obliger à le regarder, ce que James fit après avoir scruté ses doigts sur son corps avec une complaisance amusée.

« Ah, quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle sur l'esprit.

- Tu ne me crois pas, n'est-ce pas ?

- Je n'ai jamais dit le contraire.

- Pourquoi refuses-tu que je t'accompagne, si ce n'est pas le cas ?

- Tu tiendras pas, promis, juré, craché.

- Pourquoi m'as-tu aidé tout à l'heure si tu le penses autant ?

- Tu m'as fait pitié, avec ton regard de chiot perdu. Tu sais, Tommy, il ne suffit pas d'être mignon, beau gosse et musclé pour obtenir ce qu'on veut. Tu as le physique d'un dieu grec, et cela s'arrête là.

- Je reste dans la légalité... c'est tout.

- Crève de faim Tommy, si tu tiens à rester dans la légalité. Moi, je choisis la vie.

- Tu ne veux vraiment pas que je t'accompagne je ne sais où ? »

Un sourire malicieux fendait les lèvres de James. Il s'immobilisa encore, lui faisant face avant de rapprocher leurs visages. Il susurra en riant légèrement : « J'ai une question plus raisonnable pour toi, beau gosse. Pourquoi t'obstines-tu à mettre en moi une confiance aveugle ? tu ne sais absolument rien de moi. Rien du tout. » Il reprit sa marche, derrière lui Thomas fixait ses pieds et confessait faiblement : « Tu es la seule personne qu'il me reste. »
Le sourire du blond flétrit et mourut. Il sembla un instant égaré dans des souvenirs, lui qui avait longuement rêvé de ce sentiment familial, de cette chaleur humaine qu'il n'avait jamais reçue. Lui qui allait volontairement s'en priver et de cela punir un gamin. Il pinça ses lèvres, hocha légèrement la tête, sortit un second cigare d'une poche et l'alluma avec son briquet. Il recracha la fumée de ses poumons, disant enfin : « J'entends bien ta détresse, Tommy. Mais que veux-tu que j'y fasse, moi, hein ?

- M'aider ?

- Mmh...

- Écoute, James... supplia-t-il. Je sais que je n'impressionne pas beaucoup, avec ma timidité et mon histoire ridicule... Mais j'ai vraiment envie de me sortir de cette galère, vraiment envie. Et je ne pourrais qu'y arriver si tu m'aides. »

James méditait en contemplant les cieux, ternes, invisibles.

« "On transforme sa main en la mettant dans une autre"... D'accord, j'accepte.

- A, Ah bon ? Vraiment ?

- Mmh... Par contre, tu dois savoir que je ne cherche aucun foyer, aucune association. Pas pour le moment, en tout cas... Je suis et je resterai seul. Personne ne voudra jamais de moi, personne ne nous rejoindra, personne ne nous aimera. Et cette idée, même si tu es tant attaché à l'Autre, tu dois te l'infliger dans le crâne et tout de suite. Ok ? »

Thomas hocha frénétiquement, les joues rougies et chauffées de bonheur. James eut un soupir, tendant sa main en officialisant : « Parfait. Bienvenue à bord, Tommy. » Thomas la serra ardemment, frémissant d'excitation : « Merci beaucoup, James ! Merci ! » Le blond se contenta de sourire encore, puis réajusta une nouvelle fois sa casquette plate.

« Et... où va-t-on, exactement ?

- Aucune idée. ricana-t-il en haussant les épaules. Tout ce que je sais, c'est qu'on doit trouver un endroit où passer la nuit. Ça caille terriblement, en ce moment. Ta jolie frimousse risquerait de geler et de casser, ce serait dommage. »

Son rire tinta suavement à Thomas, qui, à ce moment, ne savait plus comment se contenir.

Une saison en enfer - NewtmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant