Chapitre 6

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« C'est l'heure de pointe, mon grand. Voler est plus simple quand on le fait en pleine foule.

- V... Voler ? Tu comptes voler... a, avec moi ?

- Le voilà paniqué, le beau prude.

- Je ne veux pas finir emprisonné !

- Tu ne le seras pas, beau brun. Sauf peut-être dans mon cœur... ricana-t-il avec légèreté.

- James, je ne le sens pas...

- James a l'habitude, gamin. Tu n'auras qu'à préserver ta sainteté en m'attendant un peu plus loin. Cela te convient-il ? »

Ils coupaient une rue grouillante de piétons et de marchands, qui exposaient fruits, légumes et viandes. James remarqua une petite échoppe de pain ; il en rapporta deux en retrouvant Thomas de courtes minutes après. Le garçon s'étonna en le voyant avec ses trésors : « Comment peux-tu être aussi efficace ?

- C'est l'habitude, beau brun. Mange. ordonna-t-il tandis que Thomas obéissait.

- Que fait-on, maintenant ?

- Aimes-tu les trains ?

- T... Tu veux quitter Londres ? s'étonna-t-il.

- Te souviens-tu de Jorge ? l'homme de la ferme. Il avait mentionné un projet. Je l'ai encore en tête.

- Qu'est-ce ?

- C'est un récit quelque peu étrange. J'étais aussi seul que maintenant il y a cinq ans, mais il me restait encore un oncle. Je n'ai jamais su où il habitait, ni même avec qui il était marié. Je ne m'y suis jamais vraiment intéressé. Mais il y a trois ans, j'ai appris la mort de cet homme. Il devait être âgé. Et il m'a laissé un testament. J'étais le fils unique de sa sœur, ils étaient proches, cela m'a peu surpris. J'ai hérité de sa petite maison, perdue dans la campagne, plus ou moins près de Londres. Seulement, si je me décide à m'y rendre, je n'y serai pas seul. Un Gally en est aussi devenu propriétaire. Je pense que mon oncle avait adopté le fils de sa potentielle femme.

- Et pourquoi n'y es-tu pas allé ?

- Je ne voulais pas d'un foyer. J'ai préféré survivre dans la rue, car je ne sais rien de ce quotidien.

- Alors pourquoi y retourner maintenant ?

- Parce que tu es là, beau brun. Je ne vais pas pouvoir m'occuper seul de nous deux, je suis infiniment fauché. Et jamais, ô grand jamais, je ne te laisserai seul dans la rue. Tu n'as que dix-huit ans, tu n'es qu'un enfant, tu n'y parviendrais pas et je ne me le pardonnerais pas. La vie t'a suffisamment offert jusqu'ici.

- Non ! tu ne peux pas faire une chose pareille uniquement pour moi ! nous nous sommes rencontrés hier !

- Je ne me sens plus capable de braver une dizaine d'années dehors supplémentaire, de toute manière. Je sens que ma santé s'épuise, mon esprit aussi.

- C'est pourquoi tu dois y aller, et sans moi ! ce n'est pas ma famille ! je ne peux m'inviter dans une maison où rien ne me revient de droit !

- Je sais ce que je fais, Tommy. Tu n'es sûrement pas au courant du pacte scellé entre nous. Tu es sous ma responsabilité, à présent. »

Thomas eut un étrange pincement au cœur. Ces mots avaient été purs, fraternels, pourtant ce n'était pas ce dont il voulait. Lui voulait entendre la passion ardente, la tendresse et l'ambition amoureuse, non cette générosité compatissante que l'on accorderait à un chiot abandonné au bord d'un chemin de fer. James ne vit pas sa déception comme le refus implicite qu'il lui avait donné, et rassura en murmurant : « Je ne t'oblige à rien, Tommy. Tu es libre de moi. Mais il est hors de question que je t'entraîne dans cette descente aux enfers.

Une saison en enfer - NewtmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant