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Courir. 

Se précipiter en avant, se jeter au sol, se ruer.

Il y avait tellement de termes différents pour définir cette idée.

Et pourtant, pour Eddie il semblait qu'aucun d'entre eu n'était équivalent à ce qu'il aurait espéré. Aucun n'était assez rapide.

Quand il se précipita sur le toit, ce n'était pas pour admirer la vue du dessus de Los Angeles ou pour respirer l'air frais en hauteur. Il n'avait même pas remarqué qu'ici, on voyait la Voie lactée, ce qui n'arrivait jamais quand on était dans les rues.

Les Angelenos ne levaient jamais la tête, ils étaient tellement tous obnubilés par ce qu'il se passait sur l'écran de leur téléphone ou sur la une du journal, qu'ils pouvaient passer une journée à l'extérieur sans vraiment voir le ciel. 

Il leur était déjà arrivé, de devoir intervenir en ville, pour des personnes qui s'étaient faites renversées, inattentives, ou qui s'étaient heurtées à un poteau, ne regardant jamais que leurs pieds, et la plupart du temps c'était pour des blessures mineures, parce que la plus grande, c'était l'embarrassement. 

L'embarrassement de passer d'un moment de solitude et de vie privée à celui où tout le monde vous observe, vous dévisage et certains vous filment. Parce que capter les quelques bribes d'un instant de vie d'une personne, avait maintenant plus d'importance que de vivre cet instant comme si c'était le dernier. 

Mais Eddie refusait catégoriquement qu'aujourd'hui soit le dernier moment. Il avait plein de choses à dire, plein de choses à avouer et d'autre à hurler, et quand Evan avait disparu derrière le muret, hapé par le vide, son cerveau s'était déjà résolu à ce que ce soit la dernière fois qu'il le voyait. 

Bobby en avait décidé autrement. 

Une grimace sur le visage, et visiblement en souffrance de s'être cogné l'abdomen contre le rebord, il se tenait fermement au muret, le bras passé de l'autre côté, et quand Eddie arriva à sa hauteur, il se laissa tomber sur les genoux et se pencha lui aussi, pour attraper, le poignet que Bobby serrait si fort, qu'il le briserait si Evan n'était pas si costaud. 

-Tire! Clama le capitaine en poussant sur ses jambes. 

Et il tira. Il tira et passa l'autre bras par desus pour saisir l'épaule gauche du blond, qui se balançait, la tête reposant sur son épaule, et il n'avait jamais vraiment calculé la masse qu'Evan pouvait faire, bien qu'il savait presque précisément quel sport il faisait au lycée, où et à quelle heure. Il savait ce qu'il mangeait et il se sentait presque privilégié d'avoir été le seul à savoir à cette époque qu'il était végétarien. Il ne savait pas si c'était toujours le cas aujourd'hui, parce qu'il semblait que le garçon qu'il avait connu au lycée n'était pas celui qu'il essayait désespéremment de sauver. 

Il ne savait même pas s'il se souvenait véritablement de lui, ou qu'il le connaissait seulement de son visage sur un contrat, d'un nom sur une liste ou qu'il avait déjà entendu quelque part. Il espérait secrètement qu'il se souvenait de lui, parce que sinon, il ne savait pas ce qu'il ferait si ce n'était pas le cas. Comment il pourrait le regarder et lui faire comprendre qu'il ne lui en voulait pas, qu'il était prêt à le pardonner s'il lui parlait de tout ce qu'il s'était passé. 

Il avait compris à ses dépends que le temps ne laissait pas la place à la colère, la rancoeur et la haine, et que ces dernières apportaient plus de tristesse que de joie. Alors il ne voulait plus se mettre en colère, ni même se sentir blessé. 

Mais il ne voulait pas non plus être triste, déçu ou nostalgique, alors il ne voulait pas qu'Evan meurt. 

Il puisa dans ses dernières forces, déjà bien usées par ces derniers jours et tira en arrière, s'allongeant presque sur le sol immonde et froid et quand le poids lui parut mort, il souffla, épuisé. 

Remember Me? (Buddie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant