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Bobby se demandait, ce qu'il fallait de plus pour intégrer les premières pages des revues magazines.
Un regard lointain et mystérieux, une peau lisse et bronzée, un corps musclé et régulier.

Mais ce qu'il voyait dans les visages de ces hommes et femmes posant pour des articles d'électroménager c'était un faux sourire embarrassé et triste, alors qu'ils rentraient probablement chez eux chaque soir, la fatigue et la honte de leur image utilisée sur des emballages de costumes d'Halloween, des boîtes cartonnées de chocolats, ou des affiches de recrutement.

Ils pouvaient partir en Birmanie, passer une journée à visiter un vieux château du moyen âge, construire un moment inoubliable ponctué de photographies prises à la volée sur un iPhone très cher pour arriver dans la dernière salle de la visite, la petite boutique thématisée et là, voir sur un guide touristique de la région, leur visage mal détouré et collé sur un fond de paysage, les deux pouces en l'air, un visage figé dans un sourire commercial et photoshopé.

Il n'avait jamais trouvé un quelconque intérêt aux revues et journaux délaissés dans les salles d'attentes et sur les commodes des maisons de retraites et hôpitaux, mais il avait déjà fait tout le tour de toutes les applications du bureau de son smartphone et croyant qu'il allait finir par exploser, il avait décidé de se reporter sur des magazines périmés. Vogue ou Grazia avaient perdu de leur prestige depuis bien longtemps. Tout comme les mannequins, qui aujourd'hui devaient marcher le dos voûté, des lunettes sur le bout du nez pour lire l'étiquette microscopique d'une boîte de lentilles en conserves. 

Parfois, Bobby se demandait comment il finirait. S'il atteindrait la retraite sans aucun regret où s'il lui arriverait ce qu'il arrivait à d'autres pompiers, bien trop souvent. Il se souvenait avoir rencontré ce capitaine au Texas, lors d'un déplacement dans le pays des cowboys, pour venir en aide à tout l'état qui luttait contre un terrible feu de forêt. Le capitaine Strand avait autrefois vécu à New York et lors d'un moment d'incertitude dans ce feu de forêt, quelques secrets enfouis avaient été révélés, et Bobby n'avait pas arrêté de penser, ce qu'il aurait pu se passer le 11 septembre si le capitaine Strand n'avait pas, alerté par le son portable qui sonne, décidé de s'intéresser à une voiture accidentée. 

Il l'avait dit lui-même. Il serait entré pour la sixième fois dans la première tour, juste après son équipe comme il aurait dû et il serait monté avec eux pour aller secourir les autres habitants pris au piège. 

Et il serait mort quelques secondes à peine plus tard, quand cette dite tour c'était effondrée, plongeant l'Amérique entière dans l'effroi et la désolation. 

Il avait senti, quand Strand avait conté cette histoire, que parfois, il regrettait de s'en être sorti vivant. Parce que parfois, être celui qui vit est une plus dure punition qu'être celui qui y est resté. 

Alors il se demandait combien de temps il continuerait à lutter et à supporter, de voir les personnes dont il était responsable et dont la vie était entre ses mains, finir à l'hôpital, ou dans une bâche noire sur une table d'autopsie. Il avait déjà été immunisé à cette douleur quand Marcy, Robert Jr et Brook s'étaient retrouvé de l'autre côté de la ligne eux aussi. Pourtant, maintenant que la douleur commençait seulement à s'estomper, c'était comme si corps tout entier avait enfin décidé de s'ouvrir à ressentir de la tristesse à nouveau. Et il détestait ça. 

-Bobby? Qu'est-ce que vous faîtes là? 

Il sursauta, se redressant dans sa chaise et laissant tomber lentement le magazine, qui s'étala sur le sol, ouvert à la page de mode féminine. 

Le regard curieux d'Evan glissa lentement vers les feuilles et il arqua un sourcil, concerné. 

Bobby se gratta l'arrière du crâne en le ramassant, son dos craquant sourdement. 

Remember Me? (Buddie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant