Cinquante-neuvième Chapitre.

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[Dimanche 5 mars. La veille, Heaven et ses amis ont profité d'une soirée alcoolisée. Perdant un peu ses esprits, Heaven s'est retrouvée dehors en compagnie de Nadia, l'elfe guerrière avec laquelle elle entretient des rapports tendus. Après une discussion particulièrement enrichissante, les deux jeunes femmes ont accepté leur respect mutuel. Nadia a confié à Heaven les mots du serment qu'elle a prêté.]

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Je peux presque la revoir. Cette lumière, cette étoile explosant au cœur du royaume. J'entends encore le fracas, le sifflement strident de l'atmosphère qui se déchire. Je me demande pourquoi je n'ai pas eu peur. Pourquoi quand j'y pense aujourd'hui, j'aimerais y assister de nouveau. Je me demande si c'est à ce moment que j'ai basculé. Quand, pour la première fois, j'ai trouvé plus de beauté que d'horreur dans un combat mortel.

- Tu viens ?

Je ne réponds pas. Pendant un instant, je garde les yeux rivés sur le sol du vestibule du château, sur le cercle à l'endroit où le sol avait éclaté sous le poids d'Elijah. Puis, c'est d'un pas traînant que j'emboîte le pas de Jake.

- Ça va aller ? me demande-t-il, inquiet. Tu as à peine parlé depuis ce matin.

- Je t'ai dit que je ne voulais pas que les sentinelles nous entendent, marmonné-je.

Je sens Jake se raidir à côté de moi. En rentrant dans la nuit, j'ai presque hurlé de terreur en les voyant, parce que j'avais oublié. J'avais oublié que la maison était à présent surveillée de près, et que je méritais donc un contrôle d'identité avant d'entrer dans mon propre foyer. Quinze sentinelles mobilisées pour trois personnes. De quoi bien nous rappeler que nous sommes en danger, juste au cas où on l'aurait oublié.

Il soupire doucement.

- Ils te dérangent juste parce que tu penses qu'ils te surveillent toi. Il sont là pour te protéger, pas pour t'emprisonner.

Je me retourne brusquement vers lui.

- Le roi t'as dit de me dire ça, ou quoi ?

Il lève les yeux au ciel.

- Je veux juste que tu arrêtes de croire que personne ne te fait confiance et que tout le monde a peur que tu détruises tout.

Je m'apprête à répondre quand une conversation me revient soudain en mémoire. Une que j'ai eue hier soir, avec Tyssia, à l'ombre et masquée par le bruit assommant de la musique, teintée d'alcool et d'un peu trop d'honnêteté. Je lui ai demandé s'ils avaient peur de moi, et elle m'a regardée avec stupeur.

- Tu le penses vraiment ? m'a-t-elle demandé.

Face à mon silence, elle a continué, se penchant vers moi.

- Tu te demandes si on te prend vraiment pour l'une des nôtres ou si on attend juste de toi que tu nous sauves la vie. Tu penses encore que tu n'es pas notre amie ?

Je ne sais pas à quel moment j'ai fondu en larmes, mais je sais que je l'ai fait. Elle a écarquillé les yeux, paniquée, mais j'ai commencé à parler et je n'ai pas su m'arrêter. Maintenant que je m'en souviens, j'ai envie de m'enterrer.

- Je n'y peux rien, je ne peux pas m'en empêcher, ai-je lâché après un sanglot. J'ai toujours cette voix dans ma tête qui me dit que vous êtes obligés de faire tout ça, de toute façon. Que quand vous me laissez être avec vous, quand vous me parlez en souriant, quand vous me réconfortez et que vous me faites sentir bien vous le faites parce qu'il ne faut surtout pas me froisser, qu'il vaut mieux vous avoir de votre côté. Vous me promettez de ne pas m'abandonner parce que vous ne voulez pas que moi, je vous abandonne. Que votre vie dépend de moi, et que même si j'étais la pire des personnes, vous seriez obligés de me faire croire que vous m'aimez juste pour vous assurez la survie. Parce que vous voyez bien que si je sens que je n'ai pas d'allié, je... je pourrais tout abandonner.

Différente - T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant