Soixante-quatrième Chapitre.

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[Dimanche 5 mars. Après s'être téléportée par erreur près d'un lac, Heaven a dû confronter Jorah. Il a failli la tuer, mais elle est parvenue à reprendre le dessus dans un dernier élan de force vitale. Forçant un Banni à la ramener, elle s'est effondrée à l'entrée d'Erédia.]

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Je crois que j'ai perdu connaissance, car je me sens ouvrir les yeux et mes sensations me reviennent en une violente convulsion. J'entends des cris au loin, étouffés par le bourdonnement dans mes oreilles. Je suis incapable de voir autre chose qu'un ciel flou, incapable de sentir autre chose que le froid de l'herbe dans ma nuque et la chaleur étouffante qui me prend la gorge. Je sens des spasmes incontrôlables me secouer et j'entends mon gémissement. Je vois une silhouette se pencher au dessus de moi et quand ses mains se posent sur mes épaules pour me clouer au sol, je me sens pousser un hurlement si fort qu'il me paraît déchirer mes organes. Je hurle et je pleure, je me débats dans le vide. Mon corps tremble et ne m'appartient plus, la douleur est si grande qu'elle n'est rien d'autre qu'un sifflement strident dans mes veines. Je sens ma peau brûler, mon sang remonter dans ma gorge et emplir ma bouche, je me sens m'étouffer, suffoquer, je sens les larmes qui brûlent mes yeux et me piquent les joues, brûlantes, de nouvelles lames écorchant mon visage. Je sens mes plaies béantes comme si on enfonçant des pieux dedans, comme si elles se multipliaient encore et encore et me déchiraient les tripes, le sang s'écoulant comme du feu. J'ai l'impression qu'on m'arrache les entrailles, qu'on me torture. Je suis incapable de m'arrêter de souffrir, incapable de retrouver le monde réel.

— Heaven ! entends-je brutalement dans mes oreilles.

La silhouette est de nouveau au dessus de moi. Elle vacille, ma vision tentant difficilement de se concentrer, de retrouver le contact à la réalité. Je sens de nouveau ses mains sur mes épaules et j'ai l'impression qu'elles se déboîtent. Je laisse échapper un sanglot qui résonne dans mon crâne où s'acharne déjà le battement insupportable de mon cœur. Je m'entends pleurer, et j'ai mal, si mal partout, si mal que je ne veux même plus revenir.

— Heaven ! répète la personne.

Jake, reconnais-je soudain. Mon souffle se coince dans ma gorge et je veux l'agripper à mon tour mais je n'ai pas la force. Je ne le vois même pas, je devine à peine les contours de son corps. Je veux l'appeler mais aucun son ne veut sortir en dehors des sanglots. Je crois qu'il tente de me rassurer, de me ramener sur la terre ferme, de me rappeler à lui, mais j'en suis incapable. Je ne distingue plus où je suis, je ne sais pas combien de temps s'est écoulé, je ne sais plus si je suis en dehors de mon corps ou non. J'ai oublié comment appeler ma magie, j'ai oublié comment sentir les éléments. J'ai oublié comment respirer.

La chaleur qui se diffuse brusquement dans le haut de mon corps me prend de court, me donnant l'impression qu'on m'arrache la peau. Je n'ai même plus la force de hurler mais ma respiration devient sifflante, un noeud ardent se coinçant dans le fond de ma gorge. Je me débats mais je sens que je ne bouge plus. Je me sens perdre toutes mes forces, et bientôt la chaleur atteint mon dos.

— NON ! m'entends-je supplier, mais Jake me plaque au sol encore plus fermement.

Non. Non. Pas mon dos. Les plaies me paraissent prendre feu, mais je ne peux plus bouger. Plus la chaleur se diffuse plus je perds connaissance. La douleur est trop intense. Non. En réalité, la douleur est en train de partir. Je suis en train de l'oublier parce que je suis en train d'oublier mon corps. Je veux appeler Jake, je veux le prévenir. Je veux m'excuser. Je veux lui dire que je retourne dans les limbes. Mais rien ne sort. Je sens tout mon corps s'engourdir, et soudain je n'ai plus chaud. Ma vision se brouille définitivement et je crois que je ferme les yeux. La dernière chose que je perçois est la sensation des doigts de Jake enfoncés dans la peau de mes épaules, me paraissant traverser ma cuirasse et brûler ma peau. La sensation reste là, suspendue dans l'air, jusqu'à ce que je m'en aille.

Différente - T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant