Trente-troisième Chapitre.

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[Dans les limbes, après de maints et maints essais, Heaven n'a pas réussi à revenir à la vie. Elle a donc suivi les conseils de sa mère pour se libérer de sa peur de ce qui l'attend à son retour : revivre dans son esprit tous les moments de sa vie à Erédia. Heaven a alors compris qu'elle n'avait pas besoin de plus tant elle avait été heureuse, qu'elle devait simplement revenir, sans s'attendre à quoi que ce soit.]

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J'ouvre les yeux en silence. Ma vue met du temps à se rétablir, comme si je sortais d'un sommeil éternel.

Je n'ai pas bougé. Et j'ai pourtant revécu toute mon existence. J'ai voyagé dans mes souvenirs, ai navigué dans des songes que je pensais éteints pour toujours.

Lentement, je passe mes mains froides sur mon visage. Je déglutis et prends une profonde inspiration. Je n'arrive pas à reprendre mes esprits. J'étais bien, dans mon propre esprit, bercée par la chaleur de ma vie d'avant.

Mais il me faut bien retrouver le froid des limbes. Parce que c'est là que je suis, pour l'instant.

— Ça va ?

La voix de ma mère est d'abord lointaine, mais quand elle le répète, je peux l'entendre clairement. Ma vue se rétablit, mon cœur regagne un battement normal, mes épaules s'affaissent. Je tourne la tête vers elle et acquiesce brièvement.

—  Tu avais raison, dis-je alors d'une petite voix.

Elle esquisse un doux sourire, posant sur moi des yeux emplis de compassion.

— Ce que j'ai vu... soufflé-je.

L'inspiration étranglée que je prends ensuite fait remonter d'infinies émotions dans ma gorge, et je sens ma poitrine se contracter.

— Ils m'ont tout donné, déclaré-je finalement. Ils m'ont tout donné. Tu avais raison. Je n'ai pas besoin de plus.

Son sourire s'éteint peu à peu, laissant sur son visage une expression d'une profonde tristesse. Elle ne dit pas un mot, mais se penche vers moi pour glisser ses bras autour de moi avec chaleur. Je me laisse étreindre sans bouger, frémissant d'un sentiment que je déteste. Je me sens vide.

— Tu penses qu'ils m'attendent, là en ce moment ? Et qu'ils ne m'attendront peut-être plus dans une minute ?

Ma voix est à peine audible, tremblante, brisée.

— Je suis sûre qu'ils pensent à toi à cet instant, peu importe où ils sont. Et même s'ils ne t'attendent plus, ils ne t'ont jamais oubliée.

Une larme coule silencieusement sur ma joue, s'écrasant dans mon cou. Je serre les paupières en même temps que les poings, repoussant tant bien que mal les affreuses contractions de mon cœur.

Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale et je m'écarte de ma mère. Les poumons gonflés d'air, j'expire pour évacuer mes dernières angoisses.

— J'ai eu de la chance d'avoir la vie que j'ai eue, même si elle n'a pas duré longtemps. Hein ? demandé-je comme si j'attendais qu'on m'aide à me convaincre.

— Oui, répond Teresa d'une voix à la fois assurée et hésitante.

Sans doute a-t-elle du mal à voir sa fille abandonner tout ce qui la rend heureuse.

— Et je leur ai toujours promis de revenir. J'ai dit que je ne les laisserai pas tomber, je ne peux pas rester ici juste parce que j'ai peur de ne pas les revoir.

Ma mère acquiesce, sans un mot. Elle sait que je me dis tout ça à moi-même plutôt qu'à elle, que je me répète ces paroles déterminées pour forcer mon âme à suivre ma tête. J'ai conscience de mon dilemme, mais je sais aussi que je ne dois, cette fois, pas écouter ce que mon cœur m'implore.

Différente - T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant