Les choses semblaient s'être conformé à une nouvelle normalité, se réadaptant suite à un événement survenu il y avait seulement quelques semaines, bien que cela semblait remonter à des années déjà. L'absence de Richa apparaissait à présent comme ordinaire, quelque chose d'acquit ne dérogeant pas à l'accoutumée, que les personnes n'ayant que peu ou pas côtoyé la jeune fille ne relevaient même plus réellement.
Même les autorités paraissaient également ne plus s'en apercevoir. L'affaire, qui ne progressait pas, se trouvait probablement perdue et oubliée parmi d'autres plus récentes, lentement délaissée en bas de la pile de dossiers alors que les moyens de la police étaient concentrés sur des enquêtes ayant des chances d'aboutir à des résultats.
Après plusieurs semaines sans le moindre indice, c'était ainsi que la disparition de Richa était considérée : une enquête qui ne serait jamais résolue et lentement reléguée dans un coin jusqu'à ce qu'on lui attribut l'étiquette d'affaire classée sans suite, une disparition à laquelle on ne pourrait jamais apporter de réponses aux questions qu'elle soulevait.
Pour beaucoup, il n'y avait donc plus rien à espérer, plus d'efforts à fournir, plus rien à faire, toute tentative étant inutile, malgré l'acharnement de l'inspecteur Aciari. Cette dernière était la seule personne qui travaillait encore sur ce dossier, bien décidée à ne pas abandonner, même si elle-même sentait et savait que c'était très certainement en vain.
Plus personne ne semblait croire à la possibilité de retrouver Richa, que ce soit morte ou vive, ou à celle de découvrir ce qu'il lui était arrivé, même partiellement.
La présence de la jeune fille n'était plus qu'une ombre que beaucoup ne remarquaient plus, comme si elle faisait maintenant partie d'un décors devenu celui du quotidien coutumier.
Le comportement d'Albane était également devenu quelque chose de normal, qui apparaissait à présent comme son caractère naturel, celui d'une personne distante et renfermée, même avec ses proches, qui ne se confiait sur aucun sujet, qui disparaissait durant des heures sans fournir aucune explication sur l'endroit où elle se rendait ni sur les activités qu'elle y menait. Vinciane se doutait néanmoins qu'elle passait la majorité de ce temps dans l'ancien couvent sur les hauteurs de la ville, même si elle ignorait pourquoi exactement et que cela apportait davantage de questions que de réponses.
Cette ancien couvent terrifiait à présent totalement Vinciane à tel point qu'elle n'était pas encore retournée dans la forêt, bien que son enlèvement par Mikhail remontait déjà à presque trois semaines, et que cet incident peuplait encore ses cauchemars durant son sommeil.
Évidemment, elle avait été interrogée par la police suite à l'évasion de Mikhail, à laquelle elle avait involontairement participé, mais elle n'avait rien évoqué de l'ancien couvent, du sous-sol renfermant des cellules, de cette personne aux yeux jaunes totalement effrayée, de la présence d'Albane et du possible lien qu'entretenait Mikhail avec ce lieu. Tout simplement car elle pensait qu'elle n'aurait pas été crue, surtout qu'elle-même était incapable d'expliquer réellement ce qu'elle avait exactement vécu ce jour-là.
Comment convaincre les autorités de la véracité de ses propos alors qu'elle-même se laissait aller à douter, se demandant si elle n'avait pas été victime d'hallucinations à cause de la peur ?
Même si elle avait confiance en l'inspecteur Aciari, elle avait préféré se taire, choisissant de lui partager ces faits lorsqu'elle en aurait appris davantage, ayant bien l'intention d'apporter des réponses aux interrogations, toujours plus nombreuses, qu'elle continuait à nourrir, même si la peur continuait à la paralyser.
Sans compter que l'inspecteur Aciari avait déjà bien suffisamment de préoccupations sans se charger des inquiétudes dont Vinciane se souciait sans véritablement pouvoir les justifier. En effet, même si l'enquête sur la disparition de Richa ne progressait pas et n'offrait aucun indice sur lequel travailler, n'exigeant donc guère de temps, la jeune femme coordonnait une partie des recherches organisées dans toute la région pour retrouver Mikhail.
Non seulement le jeune homme était un fugitif considéré comme dangereux et possiblement instable mais, en plus, l'inspecteur Aciari était toujours persuadée qu'il détenait au moins quelques unes des réponses sur ce qu'il était advenu de Richa. Le retrouver suite à son évasion représentait une occasion de les lui soutirer. Le seul inconvénient était que, pour ce faire, il fallait retrouver Mikhail, or, les recherches n'avaient donné aucun résultat depuis maintenant presque trois semaines, ni par les battues, ni par les enquêtes de voisinage, ni par les appels à témoins.
Le jeune homme semblait tout simplement s'être évaporé. Que Vinciane révèle aux autorités que Mikhail l'avait conduite à l'ancien couvent aurait pu fournir une piste sur un endroit à explorer en quête du jeune homme, mais c'était inutile puisque l'inspecteur Aciari avait déjà connaissance du lien entre Mikhail et l'inquiétant bâtiment, même si, comme Vinciane, elle en ignorait la nature exacte, comme elle l'y avait vu lors de l'incendie.
Questionner les occupants des lieux n'avaient cependant pas suffisamment éveillé les soupçons de l'inspecteur pour que l'édifice soit méticuleusement fouillé et ses sous-sols sordides découverts.
De toute manière, cela n'aurait probablement pas permis d'éclairer tous les mystères entourant cette histoire. Sans compter que les recherches manquaient peut-être d'un peu de cohérence comme, en plus de Mikhail, elles avaient également pour but officieux de retrouver le corps de Richa, tout espoir de la ramener chez elle en vie ayant été oublié depuis quelques semaines.
Peut-être que si Vinciane avait raconté l'entière vérité sur son enlèvement par Mikhail, elle aurait pu orienter les recherches dans une direction plus propice à des résultats mais elle ne le pouvait pas.
Même Elio ne la croyait pas complètement.
Lorsqu'elle était arrivée chez lui, totalement paniquée et terrifiée, elle lui avait confié ce qu'il s'était passé sans rien lui dissimuler et, même si il avait acquiescé à ses propos sans tenter de la contredire ou rationaliser davantage son discours, Vinciane savait qu'il l'avait fait pour la rassurer et l'apaiser mais qu'il pensait qu'elle avait extrapolé des souvenirs faussés par le traumatisme qu'elle avait subi. Il n'accordait aucun crédit à cette histoire d'Humcréa ou d'individus aux yeux jaunes.
En revanche, il avait été fortement préoccupé, et continuait à l'être, d'apprendre qu'Albane fréquentait l'ancien couvent car cela indiquait qu'elle avait un rapport, n'aurait-ce été que vague, avec Mikhail et les activités inquiétantes qui s'y pratiquaient, ce qui la rendait indirectement davantage suspecte dans la disparition de Richa.
Face à ce témoignage de Vinciane, Elio avait lentement commencé à réaliser et accepter que sa sœur n'était certainement pas aussi innocente dans la disparition de Richa qu'il aurait souhaité le croire, même si c'était un véritable déchirement pour lui. Il en perdait son insouciante bonne humeur coutumière ainsi que le sommeil alors qu'il vivait dans la crainte de devoir prochainement choisir entre sa sœur ou la justice et la vérité, un choix qu'il se pressentait parfaitement incapable de faire.
Il voulait pourtant savoir, il en avait besoin pour chasser de son esprit ces soupçons qui le rongeaient de l'intérieur, le doute étant finalement probablement bien pire qu'une horrible certitude. Vinciane pouvait donc compter sur le jeune homme pour l'épauler dans sa quête à la recherche de réponses, même si leurs motivations différaient. Elio espérait pouvoir prouver la non-implication d'Albane dans toute cette affaire et Vinciane souhaitait que comprendre ce qu'il était arrivé à Richa lui apporte un peu d'apaisement.
Ils ne pouvaient cependant plus vraiment se tourner vers la police ou de quelconques représentants de l'autorité, à cause du manque de crédibilité du récit de Vinciane, qui ne signifiait pas un manque de véracité pour autant, et ne pouvaient donc que tenter de se débrouiller par eux-mêmes.
Certainement était-ce pour cela que Vinciane surveillait Albane aussi discrètement que possible, la suivant du regard alors qu'elle se mêlait au flot d'élèves qui se déversait dans le couloir en quittant les classes sur fond de sonnerie qui annonçait la fin des cours.
Sortant dans la cour plusieurs mètres derrière la jeune fille androgyne, elle vérifiait la direction que cette dernière empruntait et qui ne s'avéra pas être celle de son domicile au centre-ville mais de beaucoup d'autres endroits dont, notamment, l'ancien couvent dans les hauteurs de la ville.
S'en étant assuré, Vinciane rejoignit Elio au parking accolé à l'établissement scolaire. Lejeune homme l'attendait, appuyé contre la solide grille qui séparait les places bétonnées de la cour du lycée, les bras croisés sur la poitrine et le visage grave, ressemblant à un masque dur.
L'avisant qui venait vers lui au milieu de la foule des autres lycéens, il lui adressa un regard interrogateur en une question silencieuse. Sachant parfaitement quelle elle était sans qu'il n'ait besoin de la formuler plus explicitement, Vinciane hocha le menton en réponse, confirmant, comme tous deux le supposaient déjà, qu'Albane ne rentrait pas chez eux.
A ce signe, pourtant incertain, Elio se raidit en détournant le visage sur le côté, dissimulant comme il le pouvait l'expression sombre soudainement descendue sur ses traits.
Vinciane ne pouvait même pas imaginer ce qu'il ressentait en cet instant, elle qui était fille unique avec des liens plutôt distendus avec sa famille de part les longues et nombreuses absences de ses parents. Probablement était-ce de la déception, toutes sortes de déceptions, déçu qu'Albane les conforte dans leurs suspicions par son comportement du jour, déçu que ses espoirs semblent se révéler vains, de l'incompréhension et de la détresse également, certainement.
Tenant à lui apporter autant de réconfort que possible, même si elle doutait de pouvoir être réellement en mesure de chasser toutes ces émotions auxquelles il était en proie, Vinciane se pressa de venir à sa hauteur en se glissant entre ses camarades, mais, alors qu'elle s'apprêtait à lui presser affectueusement le bras en un geste de soutien, il lui lança un large sourire en lui affirmant que tout allait bien.
Un sourire que Vinciane remarqua être tiré avec les commissures tremblotantes, trop forcé pour être naturel, mais elle ne formula aucun commentaire.
Tous deux s'éloignèrent de l'établissement scolaire côte à côte. Sur le trajet, ils s'efforcèrent de converser comme l'auraient fait de jeunes adultes ordinaires, échangeant des banalités, comme si tout était normal, sauf que la situation n'avait actuellement rien de normal. Sans compter qu'ils ne parvenaient pas à tenir une discussion simple, si bien qu'ils délaissèrent rapidement la parole pour se contenter de marcher en silence, jusqu'à la maison d'Elio.
Ce dernier invita Vinciane à y entrer après avoir déverrouillé la serrure de la porte avec les clés qu'il gardait en trousseau dans la poche intérieure de son sac de cours.
Albane ayant choisi une autre direction à la sortie du lycée et leur parents travaillant encore, la maison était déserte et un lourd silence les accueillit.
Gêné et incertain, Elio proposa quelque chose à boire à Vinciane, cherchant à la mettre davantage à l'aise que lui, mais sans grand succès. La jeune fille refusa en secouant légèrement la tête de gauche à droite.
Pressentant tous les deux que, si ils avaient trainé ou s'étaient davantage attardé, ils n'auraient jamais retrouvé le courage d'accomplir ce qu'ils comptaient faire en profitant de l'absence d'Albane, ils ne restèrent pas plus longtemps dans le salon et gagnèrent le chambre de la jeune fille, à l'étage supérieur.
Lorsqu'Elio poussa la porte avec lenteur, comme si il se retenait encore, hésitant toujours, Vinciane découvrit que la pièce ne ressemblait absolument pas à ce à quoi elle s'attendait. Les murs étaient peints d'un bleu clair apaisant, les meubles tous blancs et le sol recouvert d'un faux parquet en bois clair, le tout avec des affaires parfaitement ordonnées et organisées, pas le genre que Vinciane imaginait appartenir à Albane, pourtant, c'était bien les vêtements noirs de la jeune fille pliés dans les étagères et sa basse posée sur le lit.
Fort mal-à-l'aise de cette intrusion, Elio avança d'un pas dans la chambre de sa sœur sans oser en faire davantage.
Lorsqu'il avait échangé avec Vinciane sur comment trouver des informations, quelles qu'elles soient, sans se tourner vers les autorités, ils avaient conclu qu'ils devaient exploiter la seule piste à leur disposition : Albane. Vinciane estimait que, si elle avait bien un rapport avec la disparition de Richa, elle avait forcément laissé des indices inconsciemment à ce sujet, ou bien sur son lien avec l'ancien couvent et ce qu'il s'y tramait. Il ne leur restait donc plus qu'à les chercher où ils étaient les plus susceptibles de les trouver.
Se séparant pour se repartir les endroits de la chambre à examiner, Elio commença à fouiller chaque recoin pouvant être utilisé comme une cachette, timidement, dévoré par la gêne et le sentiment qu'il faisait quelque chose de mal, quelque chose qu'il n'aurait jamais dû se permettre de faire. De son côté, Vinciane s'installa au bureau que comportait la pièce et alluma l'ordinateur portable posé dessus.
Face au mot de passe qui l'empêchait d'accéder à ce qu'elle aurait pu découvrir, elle échangea cependant rapidement sa place avec Elio qui n'eut aucune difficulté à deviner le code, connaissant bien mieux sa sœur que Vinciane, mais ils n'eurent guère le temps de fouiller davantage.
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Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 3 : La Piste du Sang-mêlé [Terminé]
FantasyAprès plusieurs semaines à errer dans l'Enclave, le chemin de Richa rencontre à nouveau celui de Yennaël. Malgré la rancune tenace qu'elle nourrit à l'égard du magicien, elle se trouve forcée d'accepter son aide dans sa quête. Remontant toutes les...