Chapitre 23 - L'étalon noir

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Le groupe de volontaires se réunissait lentement sur les hauteurs de la ville, à proximité d'une des entrées de la forêt. La nuit tombant rapidement en ce début d'hiver, chacun s'éclairait avec ce qu'il avait, écran de portable ou lampe torche pour les plus prévoyants.
Vinciane ne pensait pas que c'était à cause des températures de la saison qu'elle frissonnait, emmitouflée dans son manteau. Certainement était-ce dû à l'émotion. L'espoir et la crainte se mêlaient en elle en provoquant ces tremblements qui la traversaient. L'espoir de découvrir quelque chose et la crainte de découvrir quelque chose. Apprendre ce qu'il était arrivé, après toutes ces semaines, aurait été un soulagement pour tous mais, ensuite, il aurait également fallu vivre avec ces découvertes. Dans l'hypothèse où ils avaient trouvé le cadavre de Richa enfoui quelque part, il leur aurait fallu affronter la mort de la jeune fille.
De toute manière, les chances de découvrir la moindre chose étaient minces. Après toutes ces journées à fouiller la ville et ses environs et à enquêter, plus grand monde ne croyait encore à la possibilité de découvrir le moindre élément. Sans compter que l'intérêt pour l'affaire était retombé : les gens avaient repris leur routine quotidienne, les médias se concentraient sur des histoires plus récentes et l'absence de Richa formait une partie du décors.
D'ailleurs, cela était visible par le nombre de volontaires qui se joignaient aux recherches.
De semaine en semaine, le groupe s'était restreint. Si les habitants de la ville continuaient à compatir pour la peine des proches de la disparue, ils ne se sentaient plus réellement impliqués, car ils avaient leur propre vie à mener. Ce soir encore, ils n'étaient plus que quelques uns.
Il y avait évidemment Jonah et Ludovic, le second soutenant le premier qui croulait presque littéralement sous le poids du chagrin. Vinciane reconnaissait également quelques habitués du restaurant qui avaient probablement fréquenté la jeune fille. Sans surprise, l'inspecteur Aciari se tenait au milieu de l'assemblée, qu'elle organisait, avec quelques uns de ses adjoints.
En revanche, certaines présences étonnaient davantage, comme celle de cet homme qui tenait son chien en laisse, celui qui avait découvert l'adolescente couverte de sang dans cette ruelle il y avait quatre ans. Informé par les médias que la jeune fille avait disparu, il s'efforçait de se déplacer pour participer aux recherches. Tout comme le personnel du foyer où elle avait vécu les premiers mois après son réveil, notamment Nadine et Christian.
S'avançant au milieu de tous, l'inspecteur Aciari donna ses directives. Vinciane ne les écouta que d'une oreille distraite. Depuis un mois, elle les connaissait déjà bien trop par cœur.
A la place, elle se concentrait plutôt sur le chemin conduisant à la forêt depuis la ville, guettant Elio et Albane. Le frère et la sœur tardaient à arriver, pourtant, c'était le jeune homme qui avait suggéré qu'ils se joignent à la session de cette nuit. Ils auraient dû être là. A moins que leurs parents envahissants et surprotecteurs leur aient interdit de participer à ces nouvelles recherches. Connaissant les Liort, cela ne paraissait pas impossible.
Cette idée ne réjouissait pas Vinciane. Pour commencer car elle se doutait que les deux jeunes gens allaient culpabiliser de ne pouvoir venir aider comme ils avaient assuré de le faire et qu'elle ne souhaitait pas qu'ils s'infligent ce sentiment, encore moins Elio. Ensuite, elle avait quelque peu espéré qu'elle aurait ainsi eu l'occasion de s'isoler avec Albane pour l'interroger librement.
Après tout, même si elle avait affirmé ne pas avoir joué un rôle direct dans la disparition de Richa et que Vinciane la croyait sur ce fait, il restait encore des points qui manquaient de précisions sur ce qu'il était arrivé exactement entre les deux jeunes filles.
D'ailleurs, devait-elle rapporter cette conversation à l'inspecteur Aciari ? Certainement aurait-elle trouvé ces propos intéressants mais Vinciane hésitait. Pouvait-elle réellement relancer la police sur la piste d'Albane sans avoir de certitude sur ses implications exactes ?
Avant que Vinciane ne puisse se décider à ce sujet, elle avisa deux silhouettes qui montaient le chemin menant à la forêt. Reconnaissant Albane et Elio, elle leur adressa un signe assez incertain, à cause des circonstances et car elle ignorait comment se comporter avec Albane.
Cette dernière se dissimulait sous la capuche de son sweat noir marqué du logo d'un groupe de métal. Se séparant d'Elio, elle se tint à l'écart en évitant le regard de tous, en particulier celui de Jonah, les mains enfoncées dans ses poches.
L'inspecteur Aciari s'interrompit dans ses explications pour la fixer un instant, étonnée de la voir parmi les volontaires alors qu'elle s'était tenu à distance de l'affaire, jusqu'ici. Se reprenant, la jeune femme annonça le départ des recherches en rappelant le périmètre à inspecter.
Albane se pressa de pénétrer entre les arbres avant que quelqu'un ne cherche à lui parler en lui demandant pourquoi elle avait changé d'avis après tant de semaines. Elle ne souhaitait pas qu'on vienne lui parler de sa présence sur les lieux et encore de ce qu'elle imaginait sur ce qu'il avait pu arriver à Richa.
Hésitant un instant, Elio demeura sur place à sa suite et se tourna vers Vinciane, réticent à la laisser seule. Avec un sourire lui assurant que tout irait pour elle, la jeune fille l'encouragea d'un geste à rejoindre sa sœur. Cette dernière semblait avoir davantage besoin de lui qu'elle. Après un dernier regard sur Vinciane, le jeune homme s'empressa d'emboîter le pas à Albane et disparut dans la pénombre plus épaisse sous le couvert des arbres.
Vinciane soupira en se passant une main sur le visage. Apparemment, elle devrait attendre pour questionner Albane plus en profondeur. De toute manière, sa motivation première à venir ici ce soir était de découvrir quelque chose à propos de Richa.
S'éclairant de la lumière de son portable, la jeune fille s'engagea à son tour sur le chemin forestier en terre battue. Albane et Elio n'étaient déjà plus en vue. Du moins, peut-être l'étaient-ils encore mais impossible de déterminer quelle lumière correspondait à quelle personne. De toute manière, elle n'avait pas besoin d'être accompagnée. Depuis quelques semaines à arpenter ce parc, elle le connaissait suffisamment pour s'y déplacer seule, même dans la semi-obscurité de la soirée.
Ayant à présent coutume de ces recherches, elle promenait son faisceaux lumineux autour d'elle tout en veillant à où elle mettait les pieds, évitant les racines, les branches morts et les pierres, surtout qu'elle avait quitté le chemin. Marcher ailleurs que sur le sentier pouvait paraître imprudent mais il lui semblait que, si des indices concernant la disparition de Richa se trouvaient bien dans cette forêt, ils ne les attendraient pas sagement au bord du chemin.
Un craquement résonna entre les arbres. Vinciane sursauta violemment en se retournant. Le cœur menaçant de lui briser une côte, elle regarda autour d'elle mais elle ne remarqua rien qui puisse expliquer ce bruit.
Faisant taire sa frayeur sous les coups de sa raison, elle se signala à elle-même qu'il ne s'agissait que d'un animal. Ce ne pouvait être autre chose. Ce n'était pas car elle évoluait actuellement seule dans une forêt en pleine nuit, entourée par les silhouettes fantasmagoriques que créaient les arbres autour d'elle qu'elle devait laisser son imagination s'emporter.
Elle ne pouvait cependant s'empêcher de se sentir tendue, chose normale en ces circonstances. Sans compter que, suite à son enlèvement par Mikhail, suite auquel elle avait perdu le sommeil durant des jours, elle peinait à se sentir en sécurité, surtout dans un tel environnement.
S'affolant, elle promena sa lumière autour d'elle en quête du reste du groupe, ayant besoin de retrouver d'autres personnes pour être rassurée, mais elle ne repéra personne, aucun point lumineux se déplaçant entre les troncs.
Visiblement, elle s'était trop éloigné sans y prendre garde et s'était égaré. Heureusement qu'elle s'était accoutumé aux environs, sauf que l'endroit changeait d'allure dans l'obscurité.
S'efforçant toujours de ne pas permettre à la panique de la submerger, elle pianota sur l'écran de son téléphone pour accéder à son répertoire pour avertir Elio qu'elle craignait de s'être égaré et qu'elle allait tenter de retourner à l'orée de la forêt. Le jeune homme ne s'inquiéterait donc pas de ne pas l'apercevoir et elle-même était rassurée de savoir que quelqu'un était prévenu de sa situation.
A peine appuyait-elle sur''envoyer'' que de nouveaux craquements s'élevèrent autour d'elle. Cette fois, Vinciane identifia clairement la course d'un animal qui semblait tourner autour d'elle. Les mains tremblantes, elle brandit sa lumière devant elle, essayant de voir cet animal autant que de l'effrayer.
Elle distingua seulement une imposante forme qui se rua sur elle. Si elle ne fut pas percutée, ce fut uniquement car elle eut le réflexe de se jeter sur le côté. Des branches la blessèrent superficiellement à travers ses vêtements et son téléphone lui échappa pour glisser dans la poussière du chemin.
Le bruit de cavalcade cessa et celui d'un puissant souffle le remplaça.
Etourdie, Vinciane se redressa en prenant appuie sur ses paumes, les muscles de ses bras légèrement incertains, et, même sans la lueur émise par son téléphone, elle reconnut l'animal qui se tenait face à elle, à environ trois mètres.
Les rumeurs qui évoquaient un immense cheval noir hantant les bois disaient donc vrai. Dans les ténèbres de la nuit, elle pouvait seulement distinguer sa silhouette immense mais elle devinait néanmoins qu'il s'agissait d'un puissant étalon pur sang. Il soufflait bruyamment par les nasaux en secouant la tête de gauche à droite.
Comme elle l'avait affirmé à Elio et Albane, Vinciane n'avait pas pensé qu'il puisse être autre chose qu'un animal domestique échappé de son enclos, pourtant, à présent qu'il la dominait dans la nuit, elle percevait émaner de lui quelque chose d'anormal.
Cette fois, sa raison ne suffit plus à la rassurer. Tremblant de tous ses membres, elle se précipita sur son portable, tâtonnant au sol. Le contact familier de l'appareil ne contribua pas à l'apaiser comme elle l'espérait. En revanche, la lumière que produisit l'écran, à présent fêlé, la calma davantage mais, avant qu'elle ne la dirige sur l'étalon, dont elle n'entendait plus la forte respiration, une voix qui la glaça s'exprima non loin d'elle :

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 3 : La Piste du Sang-mêlé [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant