A présent que l'esprit de Richa ne s'embrouillait plus de frustration, à cause de l'inaction ou de l'errance, elle aurait dû pouvoir prendre du recul sur sa situation et mener quelques réflexions, importantes même si elles ne la feraient guère progresser, concentration qu'elle était incapable de trouver avec la proximité de Yennaël, bien qu'elle devinait parfaitement que ces pensées allaient se diriger vers le jeune homme à un moment ou l'autre. Sans compter qu'il lui aurait été utile de savoir où elle se situait dans sa relation avec le rouquin et de trier ses sentiments.
Le projet n'était donc aucunement de se dissimuler aux regards de l'équipage et des autres passagers, qui n'avaient d'ailleurs qu'à comprendre comment fonctionnaient les relations humaines lorsque l'on était civilisé.
Elle passa donc cette première journée sans plus se soucier des mises en garde du capitaine et de son second, bien qu'elle ait régulièrement perçu le regard de ce dernier peser sur elle, comme pour lui rappeler à distance les risques auxquels elle s'exposait par ce qu'il considérait certainement comme de l'idiotie, mais il fut trop occupé à vociférer sur l'équipage pour véritablement l'importuner. Seul le sommeil fut difficile à trouver, son insomnie naturelle encore renforcée par la présence des marins et des autres passagers autour d'elle.
Le lendemain fut identique à ce premier jour : Richa installée au bastingage au-dessus des flots, perdue dans ses pensées qu'aucun incident ne vint troubler, l'équipage effectuant ses différentes tâches, le capitaine ordonnant tout cela, le second aboyant, les Iles Blanches s'éloignant et les côtes des Terres Intérieures se rapprochant, sans que rien ne vienne interrompre la monotonie de la traversée, comme ce fut également le cas pour la journée qui s'enchaina ensuite.
Après trois jours identiques et dont le seul élément notable fut le temps semblant se dilater avec l'ennuie et l'inactivité, Richa ne se préoccupait plus des avertissements du capitaine et de son second, les ayant même oubliés et, alors qu'elle gagnait le pont principal pour la nuit, elle ne réagit pas au commentaire qu'un marin lui lança, pas plus qu'aux précédents.
Bien sûr, elle aurait pu s'emporter, faire payer ces paroles à leurs émetteurs, ça aurait tout à fait été dans son caractère, mais elle jugeait qu'ils ne méritaient même pas sa colère, préférant les laisser dans leur stupidité goguenarde. Le meilleur moyen de leur prouver à tous son mépris était de les ignorer.
Impassible et la tête haute, plus impériale qu'une reine, elle se rendit jusqu'à son hamac où elle prit souplement place.
Se saisissant de sa couverture, elle ne put retenir une grimace en fronçant les sourcils face à l'odeur s'en dégageant. En réalité, ce n'était pas du tissu dont émanait la désagréable puanteur mais de toute la pièce, dont elle imprégnait chaque recoin, mélange de sueur, de peau mal lavée, toutes sortes d'odeurs corporelles. Le voyage avait débuté il y avait tout juste trois jours en c'en était déjà insupportablement écœurant. Richa aurait bien prié pour une douche mais elle n'était pas pieuse et elle doutait qu'un des quelconques dieux qu'elle connaissait ait l'hygiène personnelle dans ses attributions.
Elle ne pouvait que prendre son mal en patience. De toute manière, la traversée était déjà à sa moitié, il ne lui restait plus beaucoup de temps à endurer ces conditions de voyage.
Se résignant donc à devoir dormir dans cette odeur, à laquelle elle espérait pouvoir s'habituer, elle se blottit dans son hamac sous sa couverture en fermant les paupières.
Le sommeil fut long à venir, comme bien souvent, la fuyant. Si bien que, alors que le milieu de la nuit avait été atteint, la jeune fille somnolait à peine parmi les ronflements des autres dormeurs.
A moitié endormie, son esprit parvint à capter le danger soudainement proche d'elle.
Se réveillant subitement en se redressant, elle se prépara à frapper avant de poser quelques questions, sauf que ses réflexes de combattante n'étaient pas réellement calibrés pour se déployer depuis un hamac et, prise dans l'urgence en venant tout juste de s'extirper de sa somnolence, elle ne songea pas à son équilibre et elle bascula au sol, s'écrasant sur les planches de bois.
Sa première intention fut de se redresser et de se battre, mais le poids d'au moins deux personnes réunies s'abattit sur son dos pour la maintenir plaquée à terre, ce qui ne l'empêcha pas de ruer en cherchant à frapper tout ce qu'elle pouvait atteindre de ses poings et de ses pieds. Plusieurs de ses coups touchèrent leur cible. Même dans cette position, elle commença à avoir le dessus.
Du moins, jusqu'à qu'un garrot comprime sa trachée en empêchant l'oxygène de parvenir à ses poumons. Son esprit s'embruma, ses membres devinrent gourds, ses mouvements moins précis et, évidemment, sa magie ne paraissait pas estimer utile de se manifester maintenant.
Pourquoi, malgré la force et la puissance qu'elle semblait abriter, elle finissait toujours en si mauvaise posture ? Quel paradoxe !
Ce fut la dernière pensée qui traversa son esprit avant qu'elle ne sombre, vaincue par le début d'asphyxie.
Heureusement, son inconscience ne dura guère plus de quelques minutes, bien qu'elle soit incapable de l'évaluer précisément. Revenant à elle, elle se découvrit bâillonnée et les poings liés dans un coin du navire qu'elle n'avait pas visité durant ces trois jours et faiblement éclairé par une lampe à huile, probablement la cale.
Ce ne fut cependant pas sur son environnement que se focalisa son attention mais sur les personnes qui l'entouraient. Au nombre de cinq, il s'agissait d'hommes que Richa avait déjà croisés sur le navire, membres de l'équipage ou simples passagers comme elle.
Visiblement, le capitaine et son second avaient eu raison de s'inquiéter pour elle, mais elle refusait de le reconnaître. De toute manière, ce n'était pas l'urgence pour l'instant.
Ces cinq-là avaient dû commencer à trouver le temps longs alors que, elle, elle était seule et ils ne comptaient apparemment pas lui demander la permission pour se distraire. Deux lui maintenaient les bras, qu'elle avait déjà attachés, au-dessus de la tête, chacune de ses cuisses était tenue par un troisième et un quatrième alors que le dernier se dressait au-dessus d'elle, ayant de toute évidence l'honneur de commencer. Comme si elle allait leur faciliter la tâche.
Ouvrant brutalement les jambes, alors que ses agresseurs s'attendaient à devoir la forcer à le faire, elle heurta l'homme de droite de son genoux sous le menton, le sonnant en lui faisant relâcher sa prise, et envoya celui de gauche contre les caisses de provisions à deux mètres d'elle.
Enchainant sans leur laisser le temps de se reprendre, elle noua ses jambes autour de l'homme au-dessus d'elle, passant l'une contre son cou et l'autre sous son aisselle en serrant.
Trois hommes maîtrisés. Mais il en restait deux, qui vinrent prêter main forte à leur acolyte, frappant les jambes de Richa en tentant de lui faire desserrer sa prise, sauf que, pour ce faire, il libérèrent ses bras, lui donnant un avantage.
Se redressant subitement en position assise, elle asséna un violent coup de crâne au front de l'homme qu'elle maintenait, l'assommant.
L'emprisonner de la sorte n'étant donc plus utile, elle le relâcha, le laissant s'affaisser sur le côté. N'ayant plus les jambes encombrées, elle repoussa du plat de ses pieds les deux hommes, qu'elle avait précédemment écartés et qui revenaient l'attaquer, tout en abattant ses poings liés sur la nuque du plus proche.
L'un des trois encore debout alla pour se jeter directement sur elle, ne relevant probablement pas qu'elle était plus que prête à le recevoir, mais, avant qu'il ne s'élance, la pointe d'une épée lui transperça l'épaule, la traversant de part en part. Dans un cri de douleur, la main crispée sur la blessure, d'où s'échappaient déjà plusieurs filets de sang, il se laissa tomber à terre.
Retirant sèchement son arme de la plaie en repoussant l'homme d'un coup de pied dans le dos, Esco menaça les deux autres de sa lame ensanglantée, les tenant en respect, le regard dur, alors que le capitaine Anhs, son épée également au clair, s'agenouillait auprès de Richa pour détacher les liens qui retenaient ses poignets et défaire le bâillon imprégnée de salive qui retomba autour du cou de la jeune fille. Lui tendant la main avec un sourire rassurant et bienveillant, il l'aida à se relever.
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Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 3 : La Piste du Sang-mêlé [Terminé]
FantasíaAprès plusieurs semaines à errer dans l'Enclave, le chemin de Richa rencontre à nouveau celui de Yennaël. Malgré la rancune tenace qu'elle nourrit à l'égard du magicien, elle se trouve forcée d'accepter son aide dans sa quête. Remontant toutes les...